Faire naître la beauté dans le putassier. Assister à l’éclosion de l’émotion dans l’artificiel. J’admets que je n’ai absolument pas pensé à ça lorsque j’ai découvert Another Eternity. Mais plus à un objet électronique sans bords auxquels s’accrocher et recraché par son époque. Avec ses sons lisses, parfaits mais qui évoquent plus les pages blanches et bleues de Facebook que le futur cybernétique des disques techno de la seconde moitié des années 1990.
Et pourtant, cet album a fini par me happer.
Un léger parfum de nostalgie pour des époques que j’ai peu, si ce n’est pas du tout, connues m’envahit lorsque je l’écoute désormais. La froide et douloureuse mélancolie de la new wave. Ce sentimentalisme propre aux 80s et plus émouvant que tous les folkeux malheureux du monde. Les montées en puissance de la house avant qu’elle ne devienne que prévisibilité et vulgarité (l’avalanche récurrente de synthés sur « Begin Again » se savoure sans modération). Les beats énormes de la techno. Des kicks à faire fuir toutes les personnes âgées de plus de 50 ans. Et pour finir, une voix apaisante, douce et surtout fascinante. Tout à fait digne des meilleures chanteuses de la dream pop.
Ce disque est cependant un produit typique des années 2010, un pot-pourri entre des styles qui se sont longtemps regardé en chiens de faïence. C’est la singularité de cette période.
Le mainstream et la musique dite alternative se sont mélangés au point de fusionner. Il y a eu des ratés (tel le tristement fameux Skrillex), peut-être même beaucoup. Le résultat est tellement affreux qu’il ne donne pas envie d’en savoir plus. On a eu aussi des surprises avec du potentiel telle Charli XCX ou Sky Ferreira, mais pas spécialement de grandes sorties. Il y a une singularité dans cette décennie que les plus vieux (et les plus blasés ?) regardent avec dédain pour cause de rupture avec plusieurs décennies d’une suprématie rock. Elle a juste du mal à sortir du lot et surtout à utiliser les outils de son époque avec intelligence.
Another Eternity pioche lui aussi et sans culpabilité dans les sonorités actuelles. Boite à rythmes massives héritées de la vague Trap. Ce sous genre du hip hop aussi glacial que tout ce que l’électro a produit dernièrement. Nappes de claviers hédonistes tirées de la Witch House (la quoi ?). Des voix déformées que Burial a popularisées et même, immense sacrilège, de l’autotune ! Tous ces facteurs ont de quoi repousser tout individu un tant soit peu respectueux de son bon goût.
…Sauf que c’est une réussite.
Purity Ring a cessé de jouer les petits malins après un premier album, certes, singulier et intriguant mais parfois trop proche du gadget expérimental jetable. Ils se sont mieux investis dans l’écriture, ont laissé tomber l’armada d’effets pour se concentrer sur l’essentiel : les chansons.
Another Eternity est donc plus pop et c’est tant mieux. Un changement inexplicablement reproché à ce duo Canadien par leurs fans de la première heure… Alors qu’il conserve sa personnalité tout en injectant donc cette chose improbable : de l’émotion.
L’intro au piano de « Sea Castle » fait oublier leur premier essai Shrines sans problème. Surtout que le titre atteint des sommets stratosphériques dès l’enclenchement de son beat implacable pour transformer cette composition en envolée lyrique. Notamment grâce à la prestation de Megan James.
En effet, pour transcender cette électro qui serait simplement bien fichue, il fallait quelque chose qui rappelle que derrière les machines, se cachait un humain pouvant faire le lien entre le charnel et l’artificiel. Cette personne, c’est donc Megan James. Une chanteuse qui a pris du galon puisque sa voix n’est plus soumise aux effets, donc bien plus naturelle et surtout émouvante.
Les chansons les plus immédiates telles « Push Pull » ou « Repetition » ont de quoi convaincre les plus sceptiques. Si on veut une musique moins terre à terre, on peut aussi se rabattre sur l’incroyable « Stranger Than Earth » (son break en plein milieu est euphorisant) ou « Dust Hymn » avec son alternance entre atmosphère éthérée et décrassage d’oreille à coup de beat marteau pilon.
Another Eternity sent l’année 2015 à plein nez mais il ne ressemble à rien d’autre. Parce qu’au lieu de n’être qu’une musique informatique vaguement pop pour faire danser les hipters, il renvoie aux univers ouatés et sombres du trip hop. Oui, Purity Ring, c’est un peu le trip hop de notre génération (ce qui exclut toute comparaison avec les très bons CHVRCHES d’emblée au style plus uptempo). Une musique faites pour durer, car pas conçue pour épater la galerie des monstruosités difformes de la musique actuelle.
Comme quoi, dès qu’on arrête de privilégier la forme au fond, il peut se passer un miracle. C’est à croire qu’il suffisait d’un type talentueux et mesuré pour rendre l’autotune agréable voire jouissif.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.