Another Self Portrait (1969–1971): The Bootleg Series, Vol. 10 par dylanesque

Avec Selfportrait (1970), double album fabriqué en fouillant les poubelles des sessions de Nashville Skyline et New Morning, Dylan avait l'espoir qu'on lui foute la paix et qu'on n'attende plus rien de lui. Sa vie de famille était devenue sa priorité et la pression de son statut d'icône l'emmerdait de plus en plus. Son plan a plutôt bien fonctionné et l'on se souvient plus de la critique de Greil Marcus ("c'est quoi cette merde ?") que du contenu de l'album. C'est bien dommage parce qu'en vérité, il est charmant et aussi doux que les couleurs sur sa pochette. Je ne vous cache pas que c'est un immense bordel (agrémenté d'extraits d'un concert raté et trop cher payé à l'île de Wight) et que ceux qui n'aiment pas la voix mielleuse de Nashville Skyline vont faire la grimace. Mais il y a franchement moyen d'apprécier certaines ritournelles comme le "Early Mornin' Rain" de Gordon Lightfoot ou la pépère "Alberta" (deux versions pour le prix d'une). La décomplexée "Wigwam" où Dylan ne fait que fredonner, est une fumisterie qui, si vous ne prenez pas garde, finira par vous séduire. C'est l'attitude à adopter face à Selfportrait : descendre de ses grands chevaux, se détendre et savourer l'innocence du machin.


Suite à cet échec volontaire et à quelques exceptions près, Dylan ne sortira rien de neuf pendant trois ans, une période de traversée du désert qu'il qualifiait lui-même "d'amnésie". Alors que leur client mal en point se fait la malle chez le label Asylum et reprend du poil de la bête en compagnie du Band, Columbia se venge en allant fouiller encore plus loin dans les poubelles des sessions de 69-70 afin d'honorer le contrat signé par le déserteur. Leur compilation foutage de gueule s'appelle sobrement Dylan (1973) et, même si elle se vendra plutôt bien pour une arnaque, sera rejeté par les fans pendant longtemps. On est d'accord, le procédé est pas top et les arrangements, avec leurs chœurs féminins dégoulinants, sont un peu écœurants. Mais là aussi, il y a matière à prendre du plaisir au détour d'une reprise sautillante de "Lily of the West" ou d'une parodie d'Elvis mignonne.


La sortie en 2013 du Bootleg Series Vol.10 : Another Selfportrait est venu m'aider à réhabiliter ces deux albums – ainsi que New Morning, trop sous-estimé. Un bon moyen de redécouvrir les fameuses sessions qui auront produits quatre albums inégaux mais où, dépouillé d'arrangements pas toujours très fins, Dylan chantait merveilleusement bien ("Pretty Saro") et avait plus d'un bon morceau dans sa besace de gentil fermier ("Thirsty Boots"). Les versions alternatives de classiques comme "If Not For You" ou "New Morning" prouvent qu'on peut faire n'importe quoi avec une bonne chanson. Les versions épurées de "Spanish Is The Loving Tongue" ou "If Dogs Run Free" nous rappellent que, souvent avec Dylan, un morceau moyen sur un album peut cacher un joyau honteusement mis de côté. C'est probablement mon bootleg favori tant c'est celui qui nous éclaire le plus sur une période mal-aimée en lui redonnant de nouvelles couleurs dans un coffret au packaging remarquable, surtout quand on choisit l'édition vinyle.


Allez, on reprend les "nanana" de "Wigwam" tous en chœur !

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le 27 déc. 2016

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