L'homme dont tu as peur

Si je ne devais garder qu'un album de Manson ce serait celui-là sans hésitation.

Tout ce qui suit me parait plus calculé, plus écrit, plus joué comme s'il avait vite révélé sa qualité de comédien avec Mechanical Animal, Holy Wood et Golden Age of Grotesque. Mais dans Antichrist Superstar, on serait tenté de croire que Manson ne joue pas de personnage, qu'il ne fait pas de la musique et que ce qu'on écoute n'est pas de la simple provoc. On serait tenté de croire que tout cela est vrai. Que cet album au visuel bien sale est bien un avènement sérieux de la venue sur terre de l'antéchrist, fils de Satan, venu souiller la terre de nos propres péchés. Moi quand je l'écoute j'ai envie d'y croire. J'y crois ! Je me laisse happer par la noirceur dégagée par les vibrations. Et d'ailleurs tout est fait pour qu'on le soit.

Si j'aime tant cet album, que je le place au milieu de Pink Floyd et d'Outkast, c'est parce qu'il continue d'exercer sur moi son aura dévastatrice alors même que les autres albums du monsieur finissent par s'émousser et qu'aujourd'hui je vois Manson comme ce qu'il est : un artiste metal américain qui a bien su gérer, à l’orée des années 2000, sa monstrueuse carrière. J'apprécie les albums cités ci-dessus. Mais Antichrist Superstar je ne l'apprécie pas. Je me noie dedans. Je m’étouffe avec et j'en ressors secoué.

L'album nous raconte l'histoire d'une chrysalide donnant naissance à l'antéchrist, tout en faisant le parallèle sur la vie de Manson et son ascension de rock star. Mais cette ascension ressemble à la pire des déchéances et la musique qui la raconte est la BO d'une mort lente de l'humain nécessaire à la naissance d'un monstre dégénéré. Le metal industriel de Trent Reznor fait mouche et on verrait mal aujourd'hui un autre style musical pour cet album-concept. L'album est sale, criard, il dégueule sa haine et quand il se calme comme dans le titre Cryptorchid c'est pour mieux nous effrayer. Tout est malsain dans cet album, morbide et putride. La voix tantôt suave, tantôt diabolique de Manson semble nous orienter vers un gouffre obscure où se mêle pédophilie et vénération. C'est une énorme puissance qui motive l'album. On a l'impression de devenir satanique. On a envie de l'être ! Dans le titre Antichrist Superstar on se surprend à se joindre à une foule en délire devant leur adorateur, leur gourou perché sur une estrade.

Tout est brillamment mis en place pour emporter l'auditeur dans un monde de ténèbres. L'album, techniquement parlant, est une claque monumentale. Les jeux sur le volume des différentes pistes, les incrustations de voix en fond, les bidouillages de celle de Manson, ses récits à l'envers, les transitions entre les morceaux, les accalmies, les pics de colères. Et ce son saturé à l'extrême, presque insupportable et désagréable ( bordel faut voir ce que ça donne dans 1996). L'album n'est plus travaillé comme un objet musical mais bien comme un objet sonore dont le but ultime serait de nous attraper pour ne plus nous lâcher et de nous attirer dans un endroit reclus de notre tête. Dans notre folie. C'est un album viscéral et torturé mais ce qu'il a de magnifique surtout c'est qu'il propose une fin des plus belles. Un épilogue chavirant de beauté avec le titre Man That You Fear dans lequel Manson en s'accusant lui-même de ne plus être un homme, mais bien un monstre, semble nous accuser nous également d'avoir écouter cette immondice jusqu'au bout et de l'avoir appréciée.

Franchement depuis que j'ai écouté cet album, je cherche un peu partout des musiques d'une même trempe, qui auraient la même ambition, celle d'illustrer L'ENFER par la musique. La peur, la puissance, la saleté et la beauté. Mais je n'en trouve pas. En tout cas aucune qui ait cette force là.