Angliche jusqu'à l'os. On ne pourrait mieux définir la musique des frères Davies et de leur groupe : les Kinks. D'ailleurs vous ne trouverez sans doute jamais un groupe plus anglais que celui-là, même pas la peine de chercher, je vous le garantis. C'est à un authentique morceau d'Albion auquel nous nous frottons là, un échantillon fleurant bon les "tea time" et les ballades en chapeau melon dans les campagnes bucoliques d'outre-manche. Un véritable monument de la musique pop aussi traditionnel que novateur constitué par quatre perfides : Ray Davies, génial compositeur au regard espiègle et au sourire de Joker, son petit frère Dave, queutard invétéré astiquant le manche de sa guitare avec frénésie, Mick Avory tabassant tambours et tambourins, et enfin John Dalton, bossant à la basse.
Et c'est après avoir estoqué la planète avec une suite de singles du calibre de "You Really Got Me" ou "Sunny Afternoon" que nos jeunes amis se tournent alors vers le format de l'album concept. Un genre aussi casse-gueule qu'ambitieux dans lequel Ray Davies brillera pourtant de milles feux. Paru en 1969, "Arthur" fait donc immédiatement suite au champêtre "Village Green", disque dans lequel le groupe nous contait les plaisirs de la vie simple à la campagne et nous faisait partager la joie de vivre entourés de coins-coins avec des latrines dans l’arrière-cour. Le thème abordé par "Arthur" est tout autre, il s'agit du déclin de l'empire britannique vu à travers les yeux de l'un de ses rouages, en l'occurrence Arthur, mais fait encore une fois la part belle à la nostalgie et au passé, une obsession chez Ray Davies.
Ce dernier en profite pour montrer une fois de plus toute l'étendue de son talent. Rien est à jeter, l'album ne souffre aucune fausse note et consacre définitivement son créateur comme l'un des plus talentueux songwriters de son époque, pourtant déjà bien pourvue en la matière. La richesse et l'abondance des mélodies sont ici mises au service de textes intelligents et sensibles abordant des sujets aussi divers que la guerre (Mr Churchill Says), l'embrigadement (Yes Sir, No Sir), l'exil (Australia) ou encore la vacuité du matérialisme (Shangri-La). Au total 12 vignettes empreintes de nostalgie formant un ensemble d'une cohésion et d'une cohérence forçant l'admiration. Jamais un groupe ne décrira avec autant de compassion et de mordant les vicissitudes des petites gens, ne chantera les travers d'une société avec autant de justesse et d’incisivité, et ne décrira avec autant d'humanité les petites histoires fourmillant dans la grande Histoire.
Arthur est un chef d'oeuvre, tout simplement, et représente le point culminant de la carrière des Kinks. Ironie du sort il représente aussi le début du lent déclin du groupe, qui offrira néanmoins encore quelques moments d'envergure, comme le savoureux "Lola Vs Powerman & The Moneygoround" qui sortira l'année suivante, en 1970.
Shangri-La
https://www.youtube.com/watch?v=mPNWGv1aE0I