I was, IAM, and I will be
On ne présente désormais plus le plus grand groupe de rap de Marseille, sinon de l'hexagone. Les désormais cinq MC's, Freeman ayant choisi de quitter le navire, accouchent ici de leur sixième opus, le premier sous cette nouvelle formation. À l'origine, les Bad Boys devaient nous gratifier d'un "IAM Morricone", un album de reprises des plus grands succès du célèbre compositeur italien, mais devant des droits d'auteur jugés trop gourmands, le projet se reporta sur un album tout neuf, tout beau. Comme pour symboliser une renaissance d'IAM, ceux-ci quittent alors leur ex-label AZ, pour signer avec la branche tricolore de Def Jam.
Fidèle à ses principes, le groupe jongle avec les mots et leur double sens : ainsi, Arts Martiens joue à la fois sur l'ambiguïté des techniques de combat et sur les techniques vocales, le tout dans un décor mi-asiatique (comme l'illustre la pochette), mi-phocéen.
Arts Martiens est bel et bien un disque d'IAM, ni plus, ni moins. Moins bien qu'un L'Ecole du Micro d'Argent, mais mieux qu'un Revoir un Printemps, il s'écarte de son prédécesseur, Saison 5. Ils évoluent toujours dans leur univers, peuplé de citoyens du monde et de samouraïs, mais leur écriture a indéniablement évolué. Bien moins foufou que leurs précédents albums, Arts Martiens sonnerait presque comme l'album de la maturité (?!), ou plus exactement comme un album d'adultes accomplis : on retrouve bien l'ombre du samouraï planant sur les 17 pistes, mais d'élève celui-ci semble être passé maître. On sent moins Shurik'N et Akhenaton dans un délire de jeunesse à la sauce "Empire du côté obscur", leur verve se fait plus posée, mais pas moins revendicative (pour me faire mentir, on trouve quand même "Marvel", pur égotrip à la IAM, les superhéros du rap qui viennent "piétiner les nanos-MC's"). Akhenaton l'a d'ailleurs exprimé en deux phrases : "Il faut que nos textes correspondent à nos âges. Ca serait un problème si à 44 ans je rappais des textes de demi-délinquant prépubère". Comment lui donner tort ? Alors certes, certains seront nostalgiques, regretteront l'âge d'or du rap, mais on ne peut que saluer l'état d'esprit du bonhomme, bien loin d'être momifié.
Les thèmes abordés restent des classiques chez IAM : la pauvreté, la mixité, la religion... Leur rap reste donc très ancré dans l'actualité, dans le quotidien, toujours avec finesse dans le coup de plume ("Mon encre, si amère"). La prise de position politique est toujours présente, avec même un petit diss au président de l'UMP ("Pain au Chocolat", avec le personnage d'intro nommé Jean-François, à qui il est conseillé de manger "de la saucisse pur porc"). Le constat social n'évolue malheureusement) pas, les quartiers, disent-ils, subissent toujours l'oubli des autorités, le racisme est toujours omniprésent, et la discrimination reste le sport national ("La part du démon"). Le story-telling à la IAM continue de dépeindre la vie de jeunes de quartiers, perdus entre deal, amitiés et règlements de comptes ("Sombres Manoeuvres / Manoeuvres sombres", magnifiquement rédigé, ou la confrontation entre le point de vue d'une victime et de son agresseur), ou plus largement des miséreux ("Habitude", avec Faf Larage -seul featuring de l'album- sur la transparence sociale des SDF, réel problème de société de nos jours). À noter que Marseille n'apparaît plus comme la ville à défendre, le groupe, par la voix d'Akhenaton, s'en est déclaré "lassé, [...] et des ragots qu'elle colporte". Conséquence, "Notre Dame Veille" se fait l'écho de cette lassitude, en critiquant ouvertement le climat d'insécurité et de corruption de la ville, et l'envie de la fuir qui en résulte, comme un lourd témoignage à charge.
Les instrus sont également très travaillés, toujours old school pour la plupart ("Notre Dame Veille", "Dernier Coup d'Eclat"), ou plus "actuels" (avec modération, "Spartiate Spirit", premier single de l'album), voire même thématiques ("La Part du Démon", "Benkei et Minamoto", deux instrus aux sonorités asiatiques). Là encore, c'est du classique IAM, c'est leur son, leurs beats, leurs samples. Mais même 22 ans après leurs débuts, ils parviennent toujours à éviter la redite, leur propre plagiat, et à réinventer leur rap.
L'album pourrait en fait être perçu comme un L'Ecole du Micro d'Argent part.II, dans sa noirceur, mais version 2013. Il diffère clairement d'un Saison 5 trop inégal, qui rassemblait très bons titres et daubes radiophoniques. Ici, Arts Martiens renvoie l'image d'une oeuvre homogène, plutôt sombre, sur lequel les cinq marseillais proposent leurs métaphores les plus mélancoliques depuis leur masterpiece de 1997. Bien entendu, Arts Martiens ne peut pas prétendre déloger celui-ci de son trône, mais s'inscrit finalement dans une suite logique, 16 ans plus tard. Le "Dernier Coup d'Eclat" d'IAM ? Probablement pas. "Tant qu'il y aura des Hommes, il y aura des guerres", disait Einstein. Et donc d'autres batailles à mener pour les Samouraïs.