« Les cons ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnait ». Un peu comme les artistes dits « progressifs ». Dans le genre, Steve Hackett est d’ailleurs imbattable. Depuis qu’il s’est échappé sur la pointe des pieds de Genesis en 1977, le guitariste a touché absolument à tout : rock, world music, classique, jazz, blues, pop, métal, folk… Comme tout artiste de progressif qui se respecte, cet Anglais d’apparence très secrète, à l’indéboulonnable coiffure de seigneur des Cornouailles, se désinhibe totalement dans sa musique, quitte à embrasser parfois la ringardise et la boursouflure. Mais il sait aussi livrer des disques classieux et/ou colorés, hors du temps, où la virtuosité croise le fer avec un songwriting totalement décomplexé. At the edge of light fait partie de ceux-là, et s’avère, à l’image de la plupart de ses disques des années 2000, comme un beau condensé d’une carrière d’électron libre.

Souvent moqué par les amateurs d’un rock indépendant brut et instinctif, le mouvement progressif confine plus volontiers vers une forme de raffinement quand il ne sombre pas dans la grandiloquence. Totalement en dehors des modes, Steve Hackett a repris du Satie avec son frère flûtiste, composé plusieurs disques de guitare classique, un album de blues… Et une pelletée de délires proggy sur lesquels il pose sa voix diaphane. Il est rare qu’Hackett soit dans la pure démonstration technique : ce qui l’intéresse, c’est de faire ce qu’il veut quand il veut. Il est à un tel point déconnecté de l’actualité musicale qu’il n’hésite pas à sortir un disque d’inédits composés en 1986, avec la production hideuse qui s’y prête, en 2000, en plein dans une époque qui cherche précisément à repousser aussi loin que possible cette décennie souvent perçue comme honteuse pour ce qui touche de près ou de loin au rock.

Dans At the edge of light, on est donc balancé d’une chanson à l’autre de genre en genre (le blues démoniaque de « Underground Railroad », la pop seventies de « Hungry years »), de pays en pays (le Moyen-Orient avec « Fallen walls and pedestals », l’Inde avec « Shadow and flame »), d’une humeur à l’autre (le très pesant « Descent », l’élégiaque « Peace »). Depuis vingt ans que Steve Hackett a décloisonné ses désirs entre albums classiques ou rock, on l’aime pour les voyages qu’il promet : ce n’est pas toujours de bon goût, soit, mais souvent surprenant, toujours soigné, que ce soit en termes d’écriture (progressif oblige, les mélodies sont à tiroir), ou plus encore d’ambiances (sa versatilité est impressionnante). Le plus surprenant dans cette histoire, c’est qu’on ne reconnaît pas Hackett à son travail de guitariste : si ce dernier a l’étiquette d’un guitar hero, il semble finalement beaucoup plus à son aise dans un rôle d’ambassadeur de la musique dans toute sa diversité et ses expressions.


Francois-Corda
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste (re)découvert en 2022

Créée

le 14 juin 2024

Critique lue 15 fois

François Lam

Écrit par

Critique lue 15 fois

Du même critique

Civil War
Francois-Corda
5

Critique de Civil War par François Lam

En interview dans le numéro d’avril de Mad Movies, Alex Garland se réclame d’un cinéma adulte qui ne donnerait pas toutes les clés de compréhension aux spectateurs, à l’instar du récent Anatomie...

le 21 avr. 2024

5 j'aime

Les Chambres rouges
Francois-Corda
4

Les siestes blanches

La salle de procès qui introduit Les Chambres rouges est d'un blanc immaculé et incarne aussi bien l'inoffensivité de son propos que le vide existentiel qui traverse son héroïne Kelly-Anne. On ne...

le 24 janv. 2024

5 j'aime

2

The Telemarketers
Francois-Corda
8

My name is Patrick J. Pespas

Les frères Safdie, producteurs de The Telemarketers, ont trouvé dans Patrick J. Pespas l'alter ego parfait de leurs personnages aussi décalés qu'attachants créés dans leurs longs métrages de fiction...

le 3 nov. 2023

4 j'aime