Encore une fois, les bardes ont eu besoin de quatre ans pour accoucher de leur nouveau bébé. Depuis Imaginations From the Other Side, il faut dire que le groupe se fait attendre entre chaque album studio, au point que les blagues ont commencé à circuler, relayées par le groupe, sur la corrélation avec les coupes du monde de football. Attendre plusieurs années ne pose aucun problème si l’album qui répond à cette attente en vaut la peine. Après avoir proposé des albums de qualité depuis Tales From the Twilight World, Blind Guardian m’avait pour la première fois déçu avec son dernier opus,A Twist in the Myth. Sans être mauvais, il succédait à des albums énormes qui ont marqué l’histoire du power metal. On y trouvait quelques bons titres (« Otherland », « Turn the Page »…), mais l’ensemble était assez hétérogène, le groupe nous avait habitué à mieux. Ces quatre années d’attente ont donc été plus longues que pour le précédent album, l’inquiétude laissait place à la résignation, et au bout du compte je n’attendais pas grand-chose de ce nouvel album, j’étais dans le mode « wait & see ».
Alors, mauvaise passe ou groupe en phase descendante ? At the Edge of Time rassure, la déception de 2006 n’est pas renouvelée. N’attendant finalement pas grand chose de cet album, j’ai été très agréablement surpris par celui-ci. Bien sûr j’ai suivi les interviews du groupe et les premières critiques « track-by-track », qui affirmaient un « retour aux sources », des titres qui plairaient aux fans des premières heures… Que le groupe évolue n’est pas un mal, tant qu’il propose quelque chose de bon, donc je ne m’extasiais pas devant ces révélations et j’attendais de voir le contenu avant de m’enthousiasmer. Première déception, la pochette… Réalisée par le colombien Felipe Machado Franco, elle manque cruellement de personnalité (elle ressemble en fait à toutes les pochettes faites par cet artiste, des variations de bleu et de rouge, un traitement très moderne…), on retrouve le dragon souvent présent sur les pochettes du groupe…
Heureusement, le contenu n’est pas à l’image de la pochette et le fan peut se rassurer, on tient ici un des meilleurs albums du Gardien aveugle. Je ne sais pas si on peut parler d’un retour aux sources comme cela a souvent été affirmé, mais en tout cas on retrouve les clés qui ont fait le succès du groupe. Les refrains fédérateurs et efficaces sont omniprésents, les riffs excellents, le chant d’Hansi est à son meilleur niveau, le bonhomme n’hésitant pas à monter dans les aigus comme s’il retrouvait une seconde jeunesse, les soli d’André toujours aussi inspirés… S’amuser à comparer chaque titre à d’autres albums en se disant « tel morceau aurait sa place sur Nightfall in Middle-Earth, celui-ci rappelle A Night at the Opera… » est une opération assez vaine, je dirais plutôt que chaque titre a sa place sur ce nouvel album. Le premier titre était déjà connu depuis 2008, « Sacred Worlds » reprend en effet le titre composé par Blind Guardian pour le jeu vidéo « Sacred II » (on sait que les membres du groupe se sont prêtés avec plaisir à cet exercice, eux-mêmes assez fans des RPGs). Ce titre était déjà meilleur que la plupart de ceux proposés sur A Twist in the Myth, il est ici réarrangé avec un orchestre très présent dès l’intro, grandiloquente qui fait un peu penser à une ouverture d’album de Rhapsody… Un peu too much justement, je trouve, mais le reste du titre est vraiment nickel : refrain, riffs et soli accrocheurs, puissance de la production, les neuf minutes passent sans lassitude, le morceau étant très varié. Je vais vous épargner une analyse détaillée de chaque titre, on trouve des titres énergiques (« A Voice in the Dark », « Tanelorn (Into the Void) » ou encore le très speed « Ride Into Obsession »), mais aussi des titres plus variés comme « Road of No Release ». On retrouve un jeu de guitare énergique, des riffs rapides et des soli à tomber par terre, choses qui manquaient un peu au dernier album. Blind Guardian reste ne se contente pas de faire « juste » du power metal comme en font des dizaines de groupe, les titres ne sont pas un assemblage de riffs rapides et de branlette de manche à chanteur qui a bouffé ses couilles. Chaque passage, chaque transition est travaillée.
On dispose bien sûr des ballades « médiévalo-acoustiques » avec « Curse My Name » et ses influences celtiques ou « War of the Thrones », qui est en version acoustique sur le single A Voice in the Dark et en version piano sur l’album. Si ces deux titres n’auront sans doute pas le succès d’un titre comme « The Bard’s Song » en concert, je les trouve très réussis, notamment « Curse My Name » qui arrive bien à mêler les différents instruments (il y a même des claquettes !) pour donner un résultat tout à fait convaincant. Pour clore l’album, Blind Guardian nous propose un de ses meilleurs titres, « Wheel of Time », où réapparaît l’orchestre et qui dispose d’un des meilleurs refrains depuis Nightfall in Middle-Earth. Le titre dure huit minutes, le groupe essayant peut-être de clore l’album comme il l’avait fait avec « And Then There Was Silence ». Ce titre reste toutefois plus convenu dans sa structure, moins ambitieux, malgré les excursions vers des mélodies orientales. Si on veut absolument rechercher le côté progressif du morceau, il faut plutôt se pencher sur « Road of No Release », qui malgré sa durée assez courte (moins de sept minutes) arrive à changer de rythme et à évoluer, un des titres les plus intéressants de l’album sans doute, et peut-être mon préféré. Les titres sont très efficaces et devraient passer l’épreuve du live sans aucun souci, les refrains repris par le public comme on en a l’habitude. Malgré sa durée (plus d’une heure), l’album passe comme une lettre à la poste, il y a très peu de longueurs.
L’album est donc excellent, mais non parfait. Si aucun titre n’est mauvais, quelques-uns sont tout de même d’un niveau un peu inférieur, notamment « Valkyries », le moins bon titre de l’album, qui est également celui qui se rapproche le plus des morceaux d’A Twist in the Myth, « A Voice in the Dark », qui est cependant un très bon choix de single, accrocheur avec un riff qui fait penser à celui de « Valhalla » (c’est plus sur le refrain que j’accroche moins) ou « Control the Divine ». Rien d’inquiétant cependant, ces titres sont au moins au même niveau que les meilleurs d’A Twist in the Myth. Les chœurs sont parfois un peu poussifs (sur « Valkyries », ou le refrain de « Ride Into Obsession »), et l’orchestration peut-être mal intégrée par moments. « Sacred Worlds » bénéficie de ces orchestrations, ce qui apporte une réelle puissance lorsqu’elle est mêlée aux autres instruments, mais l’outro était sans doute dispensable sur un titre déjà long. L’orchestre a nettement plus sa place sur « Wheel of Time », qui devait justement être à la base un titre de l’album orchestral qui est toujours en projet.
Pour ce qui est des paroles, je n’en tiens pas compte dans l’appréciation de l’album, privilégiant la musique, mais on retrouve des thèmes chers aux bardes. On sait leur passion pour l’univers fantastique, comme le montre leur adaptation du Silmarillion de Tolkien sur leur album de 1998 ou encore de nombreux morceaux inspirés par des œuvres de fantasy (Dune, les sagas de Michael Moorcock…). At the Edge of Time ne déroge pas à la règle, on retrouve l’évocation de Tanelorn, ville présente dans les cycles de Moorcock. « War of the Thrones » et le single « A Voice in the Dark » font elles référence à la saga du Trône de Fer de G.R.R. Martin, culte parmi les assidus du style, tandis que « Wheel of Time » fait référence au cycle de Robert Jordan, La Roue du temps. Rien qui puisse changer ma vision de la musique, mais ça peut en intéresser certains, alors pourquoi se priver de ces précisions ?
On tient donc un album très solide, qui malgré ses quelques points faibles remonte largement le niveau du précédent opus. Grand soulagement pour le fanboy que je suis. L’album est varié, dynamique et se place facilement parmi les meilleurs du groupe, aux côtés d’albums comme A Night at the Opera ou Somewhere Far Beyond, sans atteindre l’excellence de Nightfall in Middle-Earth. Au niveau du son, rien à redire, le mixage et la production réalisés par Charlie Bauerfind sont puissants, les instruments bien en place… Vingt ans après Tales From the Twilight World, Blind Guardian continue sa chevauchée avec succès, malgré un petit raté qu’on peut désormais aisément lui pardonner. Rendez-vous est pris en 2014, messieurs les bardes !