Atom Heart Mother par Benoit Baylé
Piteux Ummagumma. En 1969, King Crimson ravage les ondes psychédéliques d’un progressisme révolutionnaire, Yes propose un rock baroque classique et efficace, Frank Zappa propose avec Hot Rats un jazz-rock audacieux et réussi. Pendant ce temps là, Pink Floyd sort Ummagumma, l’expérimentation poussée vers les frontières de l’inutile, du surfait et du bizarroïde faussement intellectualisant. Le départ de Syd Barrett, accompagné de la volonté des autres musiciens de continuer l’œuvre du Floyd malgré cette absence de leader, sont les récurrentes excuses assumées par les adorateurs, incapables qu’ils sont de reconnaître simplement qu’Ummagumma est un album mauvais, n’ayant ni les moyens de ses ambitions, ni la maturité d’une réflexion assez poussée pour être immortalisée sur disque. Peut-être les Floyd aurait-ils dû patienter et méditer des suites de leur carrière sans Barrett ? A l’inverse, peut-être ont-ils eu raison de pondre un de leurs plus mauvais albums, sa superficialité passagère leur permettant une évolution forcément positive… ? Toujours est-il qu’un an plus tard, Atom Heart Mother voit le jour, marquant une recrudescence en qualité salvatrice, où le contenu musical n’est pas outrepassé par sa forme onanique.
Toutefois, de forme il est nouvellement question : cinq morceaux, deux de plus de dix minutes dont un dépassant les vingt. Pink Floyd abandonne l’interminable format instrumental de l’album précédent, sans pour autant délaisser celui du rock progressif encore bourgeonnant. Il va sans dire que l’exil du schizophrène magnifique influe directement sur la direction musicale empruntée, et Atom Heart Mother peut-être considéré comme le premier album mature du Floyd en son absence. L’album à la vache est composé à moitié par le groupe, à moitié par ses individualités. Pourtant, une simple interrogation se pose irréfutablement à l’écoute de l'ovni superfétatoire « Alan’s Psychedelic Breakfast », mélange de musique concrète et de psychédélisme matinal : comment, morbleu de cornegidouille, quatre personnes se concertent-elles pour écrire une ânerie pareille, ânerie qui, rappelons-le, aura valu aux Floyd moult et évasives éloges ? Une nouvelle fois, l’épée de Damoclès gisant au dessus des créations trop aventureuses, celles confondant expérimentations stériles et inventivité salutaire, n’aura pas manqué de s’y abattre tant ce morceau afflige par sa carence en véritable proposition artistique. De fait et heureusement, si en 1970, Pink Floyd est toujours plongé dans le psychédélisme, il s’en échappe peu à peu pour le plus grand bonheur de tous. Le morceau titre en est la preuve réjouissante.
Pourtant, il s’agit là d’ « une des pires chansons de la carrière du groupe » selon Roger Waters… Peut-être fait-il allusion aux maladroites orchestrations du Philip Jones Brass Ensemble. Peut-être son égo légendaire est-il simplement déçu de ne pas avoir trouvé par lui-même le thème principal, les crédits revenant à David Gilmour. Qu’on se le dise : « Atom Heart Mother » n’est ni le chef d’œuvre adulé par les fans, ni la bouse cataclysmique excommuniée par Waters. Il s’agit là d’une transition, un intermédiaire plutôt réussi entre une période psychédélique difficile à achever (tout Ummagumma) et une tournure musicale plus progressive (« Echoes », l’unique véritable réussite à rallonge du quartet). Ici, les digressions attraient plus au remplissage qu’à une véritable cohérence, et même si certains passages touchent par leur aspect joyeusement épique, ils ne sont que trop peu nombreux. Malgré tout, David Gilmour s’y dévoile sous un jour nouveau à travers son jeu au bottleneck dans « Breast Milky », seconde partie de la suite (à environ 3’00), mais aussi pour son splendide solo blues au sein de « Funky Dung », quatrième partie (à environ 11’00). Il ne faut pas non plus retirer à « Atom Heart Mother » son influence sur les multiples contrées musicales de l’époque : ses chœurs ne sont pas sans rappeler ceux empruntés plus tard par le Kobaïen de Magma, et son lyrisme minimaliste et symphonique, même si pas exactement nouveau, sera repris par la suite par de nombreuses formations de Krautrock, parmi lesquelles Tangerine Dream, Klaus Schulze ou Ash Ra Tempel.
Les trois autres chansons, sympathiques mais dans la veine des anciennes compositions du Floyd, ne flamboient pas par leur originalité ni leur grande efficacité, malgré quelques bons moments. A l’image du disque, en somme. Hormis la détestable conclusion de l’album, rien n’est particulièrement honteux, mais rien n’est particulièrement rayonnant non plus. Parfois même quelques instants se révèlent vigoureusement délicieux. Mais Atom Heart Mother n’a rien du chef d’œuvre flagorné par tous. Il faut attendre un an pour cela.