A bien des égards formels, cet album représente une récréation, ou tout du moins un défi inscrit entre parenthèses, pour ce grand groupe Britannique. Dans le cadre d’un album concept, autant pour la durée que les arrangements, « Controlling Crowds » parait carrément bien plus majestueux. « Axiom » est accompagné d’un court-métrage en prime, pour raconter, accrochez-vous, une distopie qui fait penser à « 1984 ».
Mais voilà : cette « récréation » est mon album préféré du groupe, et je le considère comme un véritable chef d’œuvre.
Première raison : l’atmosphère globale. « Controlling Crowds », malgré ses nombreuses qualités (foncez l’écouter si ce n’est pas fait), n’avait pas des ambiances qui se répondaient. La faute à la cohabitation entre le trip-hop, le rock progressif et surtout le rap ; ce n’est pas un défaut en soi, mais cela romps forcément un parti pris musical se voulant très déliquescent à la base. « Axiom », lui, assume totalement qu’on rigole plus, que c’est la fin de tout malgré les luttes, que les goélands chient sur tous les vestons. Les transitions sont soignées tels que chaque chanson devient un chapitre, avec assez de matière niveau orchestrations pour effectivement simuler un passage évolutif. « Distorted Angels », qui ouvre les festivités, porte un propos déjà apocalyptique annonçant avec solennité tout un univers en noir et blanc, sentant le souffre sur les gouttières, et surtout les horizons vides où l’humanité se débat dans le noir. A noter que si j’adore l’album, j’ai pas accroché au court-métrage, et seul l’adaptation de cette chanson en son sein m’a convaincu : je n’oublierai pas de sitôt cet aveugle qui fait sa danse et ne voit pas les flics tabasser le public.
Deuxième raison : l’influence cinématographique et littéraire. Le morceau « Axiom » est selon moi la quintessence du style Archive, et surtout il me fait grave penser à Bélà Tarr et « Le tango de Satan », film fascinant qui m’habite littéralement depuis que je l’ai rencontré (toute personne l’ayant vu devrait comprendre le rapprochement auquel je pense). Divisé en deux parties, une première franchement nihiliste, une deuxième plus résistante, cet instrumental pourrait inspirer 30 films tellement sa puissance est démesurée, tant ses évocations transfigurent. En terme littéraire, l’Europe centrale comme les auteurs Russes pourraient tous correspondre à des décors idéaux pour les morceaux de cet album, qui se veut pourri de l’intérieur.
Troisième raison : le brio du groupe, tout simplement. Archive est l’archétype du groupe auquel il manquerait juste un tube mondial, ultra-pop donc ultra-sorti de leurs circuits, pour devenir un collectif célèbre. On prend la démesure de Pink Floyd, les vocaux désenchantés de Nightwish, le sens du désespoir Anglais à la David Bowie, et on obtient une cohérence idéale entre leurs influences et leur style personnel. L’agréable impression, de plus en plus rare et qui s’est déjà d’ailleurs présentée chez eux, qu’on n’écoute pas qu’une nouvelle compilation de chansons inédites. Ici, sur « Axiom », pour la première fois depuis longtemps, aucune trace de rap, même pour « Baptism » (alors que son instrumental aurait pu s’y prêter). Même si l’intrusion du rap ne me dérange pas sur leurs disques en général, cela aurait fait tâche ici, et c’est pas le cas.
Quatrième raison : l’histoire, forcément. Bien sûr qu’on n’est pas dans de la grande originalité ; les albums concepts ne parlant ni de distopie ni de politique sont très rares de toutes façons. Mais j’ai tout de même trouvé qu’avec le matériel musical de base, ils n’ont pas torché leurs idées, qui collent parfaitement au chapitrage souhaité. Les figures de style se diversifient d’ailleurs, et l’exemple le plus éclatant sur ce domaine est le sublime « Shiver », qui se forme puis se repaisse puis se reforme, tout en s’élevant grâce à une rythmique particulièrement personnifiée. On n’est pas dans le complotisme à la « Drones » de Muse : la critique est contenue, et pointe du doigt des réalités déjà appliquées et destinées d’ores et déjà à s’aggraver.
Cinquième raison : sa durée. Malgré mon respect immense pour le groupe, ils peuvent franchement galérer à tenir la distance avec les durées qu’ils se fixent. « Londinium », même s’il n’a pas la durée immense de « Controlling Crowds » (2 h 15 quand même), marche très bien 35 minutes, puis devient interminable. « Axiom » est dit récréatif aussi pour cette durée qui sort de leur habitude, à savoir une quarantaine de minutes. Oui, mais aucune minute n’est perdue. Aucune prolongation n’est pas justifiée. Tout est carré, chaque son est à sa place, et tout conserve sa cohérence à la fois intrinsèque et diégétique globale. En cela la reprise du thème d’« Axiom » en conclusion, avec une ambiance tempétueuse en plus (et quelques sons industriels…), exprime parfaitement ce qu’on a entendu : une Œuvre où tout se répond, un discours ayant des choses précises à dire. Et les discours les plus courts sont les meilleurs, c’est pas Giscard qui dira le contraire.
Alors, pardonnez-moi, mais pour une récréation, je trouve que ça fait quand même beaucoup d’atouts ! De plus, si la reprise des choses sérieuses donne « Restriction » (j’aime bien la deuxième partie cependant), on peut se questionner sur le bienfondé d’une telle adjectivité sur une œuvre…