1967.Alors que la guerre du Vietnam fait rage, un jeune duo parcourt le Sud Vietnam pour chanter la paix. Il s’agit de Trinh Cong Son, compositeur et guitariste de 28 ans qui a déjà quelques succès à son actif et de la toute jeune chanteuse Khanh Ly âgée de 22 ans. C’est à cette époque que le duo enregistre la plupart de ses grandes chansons, celles qui le fera entrer la légende et qui sont aujourd’hui connues par tous les Vietnamiens. Ces chansons sont publiées en 1969 dans ce qui est certainement l’album central de la chanson vietnamienne : Khanh ly hat cho quê huong Viet Nam, ce qui signifie littéralement Khanh Ly chante pour la patrie du Vietnam.


Un titre d’album nationaliste pour un disque pacifiste ? C’est surprenant mais pas paradoxal car à l’époque, le peuple vietnamien est déchiré entre la République du Vietnam au Sud et la République démocratique du Vietnam au Nord. Quand Trinh Cong Son exalte la nation vietnamienne, il ne fait que chanter la paix et la réunification. Et avec quelle grâce ! Car la guerre et la paix, c’est certes un beau thème mais c’est surtout très casse gueule. Trinh ne fait pas dans la démagogie, il ne donne pas de leçon. Trinh raconte.


Il raconte le quotidien des civils, quand « le son du canon parvient à la ville nuit après nuit » quand « le balayeur de rue arrête son balai pour tendre l’oreille ». (Đại Bác Ru Đêm). Il met en scène un vieillard et un gamin dans les ruines d’un parc (Người già em bé), une mère berçant son enfant en se demandant s’il atteindra les 20 ans pour devoir partir à la guerre (Ngủ Đi Con).


Trinh ne se contente pas des descriptions morbides; il raconte aussi la fin fantasmée de la guerre. Il imagine quand il visitera le Vietnam « de Saigon jusqu’au Centre et de Hanoi au Sud», qu’il ira visiter « la route parsemée de tranchées ». Il raconte que « dans mon pays, les gens auront finis de s’entretuer », que « tout le monde sera dans la rue avec le sourire », mais aussi que « la vieille mère ira chercher dans la montagne les restes de son enfant » (Tôi sẽ đi thăm). On retrouve ce thème décliné dans plusieurs titres, comme Ta thấy gì đêm nay où il imagine le soir de l’armistice. La chanson la plus frappante dans ce style est la très entraînante "Formons une grande ronde" (Nối vòng tay lớn) qui est devenue l’hymne quasi-officiel de la Réunification, et qui est toujours chanté dans les karaokés et ailleurs.


D’autres chansons sont des hommages aux décédés, comme "Chanter sur les morts "(Hát trên những xác người) ou la "chanson dédiée aux morts" (Bài ca dành cho những xác người). Cette dernière évoque des « morts flottant sur les rivières, étalés dans les champs, sur les toits des villes, sur les chemins tortueux », « sous les auvents des pagodes, dans des églises, sur le seuil de maisons désertées ». Mais toujours l’espoir prend le dessus, et Khanh Ly continue en chantant « Printemps, les morts nourrissent les chants / Vietnam, les morts donnent du souffle à la terre de demain»


Toutes les chansons ne parlent pas spécifiquement de la guerre mais dès qu’on regarde en détail les paroles on voit que toutes en sont empreignées. Comme une de mes préférées, Xin cho tôi (donne-moi), où une Khanh Ly brisée implore qu’on lui donne « la main chaude de ma mère », « un jour de sommeil paisible », des « nuits sans bruit de mitraille ».


Ce qui est assez extraordinaire dans ces chansons c’est la communion parfaite entre la voix très puissante de Khanh Ly et les arrangements très discrets. Une guitare, une basse, parfois un piano ou un cuivre. Pas d’effet d’esbroufe, tout est très maîtrisé et au service de la chanson. Le son est parfois étrangement proche de ce qui se faisait de mieux aux Etats-Unis à la même époque. Par exemple, l’intro de Ca Dao Me ressemble un peu à du Nico/John Cale. Ce son sobre, presque minimaliste est vraiment une des grandes réussites de cet album.


C’est d’autant plus important que toute la musique populaire vietnamienne est marquée par des arrangements craignos, avec une sorte de vernis de violons synthétiques assez déprimant. D’ailleurs toutes les chansons de Khanh Ly seront ré-enregristrées dans les années 1980 et ce sont ces versions qu’on trouve le plus facilement. Pire, les versions originales n’ont jamais été éditées officiellement en CDs ! Certes la voix de Khanh Ly reste et c’est le plus important mais pour les instruments c’est comme écouter du Brassens joué par Jean-Jacques Goldman.


(chronique publiée en 2007, pour l'album Khanh ly hat cho quê huong Viet Nam vol 1)

Boebis
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le 27 août 2021

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