Pour son vingtième album, Bernard Lavilliers nous invite au festin récapitulatif d’une musique qu’il nous sert depuis 40 ans et dont on ne se lasse toujours pas. Surtout quand il a cette saveur.
Pour en arriver là, le baroudeur revenu d’Haïti après le terrible tremblement de terre de 2010 s’est en effet entouré de Romain Humeau (chanteur de Eiffel) pour bâtir ce disque sans fard qui nous (re)plonge dans les fractures d’un monde malade, appelant la révolte et à garder la tête haute malgré l’oppression (« Scorpion » sur un superbe texte adapté de Nazim Hikmet).
La violence, la mort qui rôde, l’amour et le sang sont encore une fois les éléments fondateurs d’un univers noir comme le charbon, jamais obscur ou dépressif. En permanence surnage cet instinct de vie, de lutte, de combat perpétuel.
« Tu es terrible, mon frère, comme la bouche d’un volcan éteint.
Et tu n’es pas un, hélas, tu n’es pas cinq, tu es des millions.
Et s’il y a tant de misère sur terre, c’est grâce à toi, mon frère,
Si nous sommes affamés, épuisés » – Scorpion
On retrouve tout cela, entremêlé autour de plaies douloureuses et fascinantes (« Baron Samedi ») et parfois calcinés dans un dénuement presque absolu quand il aborde la perte de sa mère sur le chimérique « Sans Fleurs Ni Couronnes). Car le chanteur, complexe, n’est décidément pas cette matière brute que certains ont bien voulu croire, à tort.
« Grand squelette de phosphore, la terre tremble sur le port
Downtown
Port-au-Prince dans la poussière, fracassés les ministères
Downtown » – Baron Samedi
Mais comme il le chante, le volcan n’est jamais éteint. En étreignant l’hymne à la vie (« Vivre Encore », une perle) ou l’impact de l’art sur le réel (« Tête Chargée ») en passant par les ruelles de New York (« Y’a Pas Qu’à New York »), Bernard Lavilliers nous entraîne une nouvelle fois avec lui, près de lui.
« Ce qu’il faut de sang, pour donner la vie
Ce qu’il faut de temps, pour toucher l’oubli…
Et vivre encore » – Vivre Encore
Et c’est en mettant en musique sur plus de 27 minutes la « Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France », long et bouleversant poème de Blaise Cendrars, qu’il enfile son plus beau costume. Celui du fiévreux passeur passionné des maux du monde et des mots. Tout simplement.
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