Ne voyez pas en ces quelques chroniques d’albums issus de cet étonnant mois d’avril un ostentatoire étalage d’artistes tous plus inconnus les uns que les autres : si ces œuvres sont évoquées ici, c’est qu’elles en valent grandement la peine. Nul besoin de s’évertuer à fustiger d’illustres inconnus, surtout s’ils sont mauvais : pensez, la plus acrimonieuse des chroniques serait également la plus susceptible de susciter l’intérêt du lecteur envers l’objet incriminé, or il s’agirait là de l’inverse de l’effet recherché. Si l’on aborde une œuvre méconnue ou mésestimée ici, c’est pour l’encenser, expliquer pourquoi le lecteur, selon ses appétences musicales, devrait y poser son oreille délicate et la sortir des méandres vaporeux de l’anonymat. Foi de chroniqueur, BBNG2 (avril 2012) figure parmi ces trouvailles qui donnent envie d’écrire.
BADBADNOTGOOD (BBNG) est un ramassis hétéroclite comme la musique électronique aime à choyer. Salmigondis ingénieux d’influences variées, BBNG tangue entre un jazz rigoureux, un hip-hop rabelaisien et une musique électronique autonome. La faute au piano omniprésent, le jazz est bien plus influent et remarquable au sein de ce second album frugalement intitulé BBNG2. Ces considérations de genres sont finalement futiles à l’écoute de l’album puisqu’il s’agit là d’un véritable OVNI, assimilable à aucun de ces genres, et tous à la fois. Voilà pour l’aspect général. Abordons le plus utile : la perception de l’auditeur à l’écoute.
Le premier morceau (« Earl (Feat. Leland Whitty) ») laisse entrevoir une œuvre insalubre voire putride, emplie de paradoxes et de pensées malsaines ; les beats sont aussi glaciaux que les coups de couteau du plus froid des meurtriers, le saxophone plus faisandé que la carcasse d’un cheval noir. D’un coup d’un seul, BBNG démontre qu’il n’est pas nécessaire de s’appeler Electric Wizard et d’asséner son impureté démoniaque à coups de distorsions pour manifester une atmosphère rance et malsaine ; parfois, une contrebasse et un saxophone suffisent. Car à ce niveau, il ne s’agit plus de mélancolie. L’album entier est une ode à la haine, au mal-être, à la perversion, à la folie. Profondément pessimistes, les cinq musiciens du groupe abordent avec brio les plus délirantes et mauvaises des pensées de l’humanité. Ils ne sont pas les premiers, ils ne seront pas les derniers. Néanmoins la maîtrise de leur art semble ici à son paroxysme, tant d’un point de vue technique (Matthew A. Tavares, quel incroyable pianiste !) qu’esthétique. Rarement une œuvre n’aura été si singulière, si précise dans sa retranscription du mal.
Toutes les pistes se valent dans l’excellence. Qu’on se le dise, le groupe BBNG est d’une intelligence diabolique et agence son deuxième album d’une manière tout à fait cohérente : les morceaux se suivent, ne se ressemblent pas mais façonnent une homogénéité digne des plus grandes œuvres de la musique électronique, du jazz et du hip-hop. Il n’est pas nécessaire d’être un amateur de ces trois genres que BBNG2 défend pour y adhérer, car il s’agit là d’un chef d’œuvre de la musique en général. A bon entendeur…