Fidèle à lui-même, Vince Staples aime jouer avec les sonorités et les compositions futuristes. Big Fish Theory ne ressemble à aucun autre album. Ses instrumentales sont rythmées, saturées, métalliques, presque sales. On se retient de parler de musique "avant-gardiste" par peur d'avoir l'air d'un journaliste égaré ... mais en vérité, c'est ce qu'est la musique de Vince Staples. Elle est en marge de toutes les tendances, évoluant dans un univers propre à elle-même, à l'image de ce que pouvait produire les mecs de Odd Future à leurs meilleures heures.
Pourtant, elle se sert des tendances. On ne peut pas passer à côté de la présence de Kendrick Lamar dans "Yeah Right", qui aura été dans tous les albums de 2017 et que l'on attendait pas si virtuose sur ce créneau-là. Ty Dollar Sign et ASAP Rocky font aussi partie des noms attractifs dont on se sert pour mettre en valeur un album à la production si singulière.
Et il faut bien reconnaître que la réussite de cet album doit beaucoup au talent des producteurs, avec des inspirations à la fois rock et electro. L'introduction "Crabs in a bucket", a de quoi dérouter, mais fonctionne terriblement bien et est assurément l'un des morceaux les plus aboutis de Vince Staples à mes yeux. "Big fish" (qui m'évoque systématiquement le Fade de Kanye West, je peux plus m'en défaire quand je l'écoute) et "745" sont deux autres petits bijoux qui ont immédiatement rejoints mes playlists.
Ah, et comment ne pas parler du fil rouge narratif... la métaphore du poisson tournant dans son bocal pour illustrer l'ennui et le déterminisme des banlieues pauvres de Los Angeles. Si Vince Staples a plus ou moins réussi à sortir de l'aquarium et à s'affranchir des limites du gangsta rap californien, son écriture est encore empreinte de violence et de froideur. Bien qu'elles soient distillées avec beaucoup de subtilité.
Malgré un sacré potentiel, l'album souffre , à mon sens, de quelques incohérences et comporte des morceaux en-deçà qui lui font du tort. Certaines pistes, à force de vouloir expérimenter, deviennent légèrement inécoutables après une minute. Le "replay value" n'est pas non plus incroyable excepté pour 4-5 titres réellement exceptionnels. Il est aussi à regretter que les ventes ne suivent pas et que ce genre de projet ne soit pas soutenu par le grand public. Mais la réussite commerciale relative de l'album suffit à donner un peu d'espoir aux MCs un peu frileux à l'idée de sortir des sentiers battus et rebattus par les basses et les triplet flow.
Quoiqu'il en soit, Big Fish Theory fait partie des constructions les plus originales et des productions les plus innovantes de 2017, et rien que pour cette prouesse (au vu de la très laaaaarge palette musicale qu'on a pu voir exploser avec des milliers de nouveaux rappeurs très talentueux), il mérite tout de même le respect dû aux grands artistes.