Promis juré, le jeu de mot laid du titre n'est pas gratuit, ça a vraiment à voir avec ce qui se trouve dans le disque. Faut dire qu'avec Big Sun on touche de près à ce qui obsédait déjà Christophe Chassol sur le volumineux X-Pianos : la speech-music, qu'il fait revivre dans un style qu'il nomme lui-même "ultrascore". Cette fascination pour la musicalité inhérente à la langue et au discours de tout un chacun qui a fait de lui un petit Steve Reich de la pop. Sa musique fait par moment penser au fameux Different Trains du même Reich. Quoi qu'il en soit, on peut dire que le français a eu le nez creux en faisant de son nouveau disque un essai sur la Martinique (où il a passé sa prime enfance, vous voyez bien qu'on parle de naturel), car le parler créole est célèbre pour ses intonations chantantes et ses accents mélodieux.
Chassol en est bien conscient, il engage même un gars pour nous parler brièvement de la naissance du dialecte dans un de ses nombreux interludes parlés du disque ("Organe Phonatoire"). Pour autant, la speech-music n'est pas la préoccupation première du compositeur sur l'entame de son disque. Toute la première partie de Big Sun, c'est à dire de la piste 1 à 7 sur 27 tout de même, reste sans voix. La part belle est faite à l'ornithologie (la nature encore, dites-le que je suis balèze pour filer la métaphore) et aux efforts de l'humain pour imiter ces oiseaux. On y entendra pêle-mêle des oiseaux piailler, des notes piquées de piano les accompagner, des sifflements et autres instruments à vent. Et à propos de sifflements, il faut absolument avoir écouté le "Pipornithology, Pt. II" – je ne suis pas sûr que qui que ce soit d'autre parvienne à pondre un morceau aussi catchy cette année, les paris sont ouverts. C'est d'ailleurs là que réside la grande force de Chassol ; loin d'intellectualiser sa musique pour en faire une chose théorique et barbante, il garde à tout instant une sensibilité pop qui lui permet de transformer ses expérimentations de musique concrète en oddities charmantes.
C'est qu'avec son ultrascore, l'ami Christophe prend très au pied de la lettre l'idée qu'on trouve de la musique partout où on veut bien la remarquer. Là où d'autres agenceraient des sons a priori peu musicaux en eux-mêmes pour en faire des compositions, Chassol lui met littéralement en musique ces sons ou paroles, en faisant parler son piano derrière le support de la voix. Comme si les gens captés avaient enregistré leur texte et qu'on avait passé le sample dans une machine bizarroïde, qui retranscrirait ces intonations en partitions pour instruments. La démarche peut s'avérer ludique, amusante, agréable – et la plupart du temps, elle l'est, du moment qu'elle ne se suffit pas à elle-même. Le disque comporte ainsi deux ou trois interludes qui deviennent longuets à force d'être verbeux. Cependant, à mon sens Big Sun est un disque qui peut très bien se déguster partie par partie, ces dernières étant très clairement marquées dans la tracklist, pour éviter l'overdose. Mais le travail studio et le montage de Chassol rend l'écoute extrêmement fluide, avec des pistes qui se fondent admirablement les unes dans les autres. Sans vraiment nous en rendre compte, on finit par réécouter quelques pistes qu'on a trouvé particulièrement accrocheuses, "Mario, Pt. I & II", "Reich & Darwin", "Carnival, Pt. IV", "Est-ce ou songe (Petit Soleil)", "La route de la Trace"... on picore ici ou là comme on se servirait de biscuits apéros, et dans la même logique on finit par se passer l'album en boucle, tout sourire, sous la lumière caressante d'un mois de juin ensoleillé. Gaffe, c'est addictif ce truc.
Chronique provenant de XSilence