Black City Parade - Indochine
Autant attendu de la critique que de leurs fans, Black City Parade, douzième album studio d'Indochine a été révélé au grand public le 11 Février. Successeur de La République des Météors (2009), Black City Parade annonce un tournant vers les musiques électroniques, privilégiant les synthétiseurs aux guitares saturées. Est-ce pour s'adapter à un public qui rajeuni d'années en années ? Le premier single, "Memoria" marquait d'emblée le changement, ne rassurant pas pour autant tous les fans d'Indochine. C'est donc avec des pincettes que nous avons écouté cet album aux traits urbains nous révélant de nombreuses choses.
Sous ses airs de balades urbaines, Black City Parade révèle quelques thématiques même si le chanteur et leader du groupe, Nicola Sirkis se refuse, comme à l'accoutumé à dire qu'il puisse y en avoir une en particulier.
Présenté comme étant l’album le plus personnel du chanteur, nous pouvons confirmer ce fait par la présence de nombreux textes marquants une idée de regrets et de pardon. Comme sur La République des Météors il dédie un titre à sa fille, "Thea Sonata" où il exprime sa peur de l’abandon et s’excuse de ne pas toujours avoir était là pour elle. Nicola Sirkis est bien loin de s'arrêter à sa progéniture et explore un domaine qu'il connait bien, celui de l'amour ou plutôt de l'absence avec des titres comme "Anyway" prônant l'envie de revoir une personne qui ne "l'aime plus, ne l'aime pas et ne veut plus de lui" nous donnant presque envie de le réconforter par moment. Il y affiche également le fait qu'il ne parvienne pas à oublier cet autre qu'il souhaiterait voir revenir vers lui. Un second titre vient appuyer ce fait, "Memoria" mais le chanteur est déjà revenu plus d'une fois sur le sujet. La déception semble forte au milieu de tous ces remords tout comme l'impression d'un homme qui a peur du rejet. C'était sans compter sur "Kill Nico", titre remanié depuis sa présentation lors du concert évènement Paradize +10 qui nous renvoie à la vie du chanteur et aux détracteurs, notamment avec ces paroles : "mais qui veut tuer le chanteur/ Je savais la cible que j'étais des malheurs". "College Boy" rappel également les années de pensionnats du chanteur même si ce dernier reste discret à ce sujet. Immanquable également la thématique de l'urbanisme qui se révèle tout au fil de l'écoute avec ses sonorités laissant porter l'auditeur d'une ville à l'autre. Ce sont en particulier "Nous Demain" et "Traffic Girl" qui en sont le plus représentatif, le premier donnant l'impression de filer à toute allure sur une autoroute infinie de par ses sonorités entrainantes et appuyées sur un pattern de batterie ainsi qu'un riff de guitare. Les paroles quant à elles nous ramènent à l'idée d'une avancée en voiture avec l'utilisation d'un vocabulaire adéquat. Des chœurs viennent également soutenir l'idée d'accélération en fin de titre. Mais venons-en plutôt à "Traffic Girl" coécrit avec Mathieu Lescop qui avait déjà cosigné deux titres sur Alice & June. Le texte nous parle de filles en uniforme bleu réglant la circulation à Pyongyang (Corée du Nord) a des carrefours ou elle est inexistante nous renvoyant plus que jamais à cette notion d'urbanisme, le tout soutenu par une pop acidulée et d'un riff entêtant aux couleurs de l'Asie.
Une autre facette de Black City Parade apparaît puisque de multiples références à des évènements actuels tels que les manifestations au Québec avec "Le Fond de l'air et rouge" ou encore l'éternel débat sur l'homosexualité avec "College Boy" sont abordés. Il est tout de même bon de savoir que ce dernier a été écrit bien avant que les manifestations pour le "Mariage pour Tous" n'explosent, montrant qu'il s'agissait d'un thème qui lui tenait à cœur. Aujourd'hui considéré comme la relève d'un "3e sexe" plus "moderne" le titre offre une seconde lecture abordant le thème du rejet quelle qu'en soit la conséquence. Mais Nicola Sirkis a toujours montré son engouement pour la culture et démultiplie une fois encore les références cinématographies et littéraires. Le "le Fond de l'air est rouge", clin d'œil au défunt Chris Marker auquel il avait déjà fait écho dans "Morphine" nous ramène à un film abordant les révoltes de mai 68 et ses suites, thème qui convient parfaitement à la chanson. Les révoltes sont aussi abordées dans "Europane ou le dernier bal". "Et puis des fraises et puis du sang" fait effectivement écho au film de Stuart Hagmann, Des Fraises et du Sang (The Strawberry Statement) qui revient sur les révoltes étudiantes à l'université de Columbia en 1968. Ce dernier nous ouvre aussi les portes au reportage Le Dernier Bal sur la IVe République, laissant entendre un aspect politique au morceau. La littérature trouve également sa place dans cet album puisque Indochine a fait appel à Valérie Rouzeau , qui avait signé des textes pour les albums Paradize et Alice & June, l’affublant ici de la lecture d'un extrait du "Journal" de Mireille Havet pour leur "Black Ouverture". Apparaît en introduction de "Belfast" une lecture de "Ariel" de Silvia Plath écrit pour ses trente ans dont Nicola répète à plusieurs reprises le titre tout au long du morceau. Ainsi il nous ouvre les portes à son univers, montrant qu'il est bien loin de se restreindre à Salinger ou Duras comme on pourrait le croire. Cette dernière semble d'ailleurs faire son apparition au travers de "Black City Parade", l'écriture du chanteur n'étant pas sans rappeler un passage de L'Amant. Un peu plus surprenant, Nicola nous laisse pénétrer avec lui dans l'univers de la danse au gré de "Wuppertal" avec un bel hommage à Pina Bausch, dont le nom de la chanson n'est autre que la ville de décès de la chorégraphe. La danse se fraye d'ailleurs une place dans les bonus puisque "Salomé" relate d'un épisode biblique où après avoir effectué une danse, le roi propose à Salomé de lui "demander ce qu'elle voudra", ce à quoi elle répond qu'elle désire qu'on lui apporte la tête de Jean-Baptiste sur un plateau pour sa mère. Cependant il est plus que probable que le chanteur se soit plus inspiré de la pièce d'Oscar Wilde du même nom plutôt que de l'épisode biblique en lui-même.
Au final, Black City Parade révèle un esprit urbain avec des morceaux entêtants dont on retiendra facilement les paroles, et ce qu'importe que l'album plaise ou non. Il nous aura tout de même fallut plusieurs écoutes avant de parvenir à l'apprécier à sa juste valeur, l'aspect électronique ayant du mal à se frayer un chemin jusqu'à nos oreilles.