https://www.youtube.com/watch?v=mxVo5mjK4eg
La nuit, je suis un salaud.
Je le sais, depuis des semaines, des mois, des années. Seul dans ma chambre, allongé à côté d'une empreinte, d'un corps en négatif, je rumine, je remue de vieilles pensées inondées d'un parfum qui a depuis longtemps cessé d'embaumer les murs.
Dans l'obscurité, personne n'observe ma bassesse.
La nuit, tout s'envole.
La gentillesse, la morale, l'empathie, tout ça et bien plus meurt englouti dans la noirceur. Le monde s'écroule au dehors, les liens disparaissent, l'espoir s'enfuit. Isolé dans mon refuge, écrasé par le silence, ne me reste que la boue. La mélasse, la saleté incrustée trop profondément pour s'envoler vers les étoiles. Alors je m'encrasse. Je noircis, moi aussi. Je me bourre de ressentiment, d'amertume.
La nuit, je mens.
A moi-même, aux autres, à ceux que j'aime, à celle qui a laissé un bout de son sourire quelque part au fond de moi. Je blesse, j'attaque, je détruis. Je suis moche, au fond. Ce fond qui surgit quand agonisent les dernières lueurs du jour, quand je me retrouve seul avec ma tristesse. En attendant que la lumière ressurgisse pour chasser mes idées noires, je suis seul avec ma misérable conscience.
En même temps que la lumière, mes rêves s'éteignent. Les yeux grand ouverts, fixant le noir insondable enserré dans quatre murs déserts, ils me fuient.
Alors, en attendant qu'ils reviennent, je comble le silence par des notes. Par un piano qui titube d'avoir trop bu, par une voix qui frémit comme un coeur qui soupire. Des notes qui sont des histoires.
La nuit, je m'enfuis dans des vies éructées en chanson. Je m'évade dans des tableaux peints par quelques sons, propulsé en quelques secondes dans ces confessions qu'on me conte.
Je me réfugie dans ces notes en noir et blanc, dans ces images d'un monde fait de bars, de prostituées, de criminels, dans ces mélodies qui sentent le whisky et la cigarette. Je vis des existences entières, l'espace de quelques minutes, des morceaux d'une humanité disparate et profondément authentique.
Je m'embarque dans une nostalgie qui n'est pas la mienne, dans des histoires d'amour que je n'ai pas vécues.
La nuit, je mens à ma vie.
J'écoute Tom Waits.