Beaucoup de critiques et même de fans de Captain Beefheart jugent Bluejeans ans Moonbeams très en deçà de son chef d’œuvre Trout Mask Replica ( sans doute l’album le plus inaccessible depuis l’introduction de la guitare électrique, avec des sonorités rappelant le post/punk de Sonic Youth alors que le punk tout court n’existait pas, ou encre Tom Waits, et Kate Bush dans sa période avant-gardiste.
Or, c’est oublier qu’après Trout Mask Replica, le Captain a fait preuve de moins de créativité durant une courte période ( si l’on excepte lick my decales off baby). Il se trouve pourtant que ce Bluejeans and Moonbeams est un véritable bijou, où l’on passe des rires aux larmes grâce aux talents de composion de Don Glen Viet et à ses incroyables capacités d’interprétation, qui nous donnent l’effet d’un monstre qui s’écroule (Pampadour swamp). La balade Ovservatory Crest peut nous paraitre simpliste si l’on n’ait pas pris par son côté aérien à la limite de la science-fiction. Ici Beefheart ne parodie pas pour le plaisir (comme un certain Frank zappa qui disait que parler de musique équivalait à danser sur de l’architecture, ce qui ne l’empêchera de se « sentir journaliste »et de flinguer des artistes dont in ne comprenait pas la démarche. ) Beefheart veut nous montrer la misère sentimentale de l’époque moderne à travers cette bluette (rappelons que sa passion était le blues). Impeccables aussi les cœurs soul qui répètent « Captain Captain » dans Captain’s Holiday, de façon bien plus subtile que le sus-cité Zappa. Oui, la musique peut vouloir dire des choses (indépendamment des paroles qui peuvent certes compléter le sens). En passant d’un style à l’autre entre les couplets et les refrains, (en ajoutant les ponts) Captain Beefheart crée une atmosphère unique qui peut nous mener à la jubilation mais pas que. Il nous questionne sur l’art de la création artistique, mais aussi sur nos existences, les deux ne pouvant être séparés l’un de l’autre (it’s the same old blues again nous rappelle le deuxième morceau de l’album). On a pu exprimer ça dans la littérature ou le cinéma, mais presque personne ne l’a fait en musique, ou du moins avec autant d’acuité, et c’était en 1974….