- Ouais mon pote. C'est en 1994 que je reçus cet inédit du grand Jimi Hendrix en plein dans les gencives.
Et pourtant, en 1994 j'étais gavé de Métal jusqu'aux amygdales, de son lourd et teigneux qui me faisait saigner des esgourdes et pousser les poils des testicouilles.
J'avais les cheveux longs et une haleine de bière bon marché.
J'avais un perf' et un blouson en jean patché de partout de dégueulasseries sataniques.
Mon père ne me parlait plus et ma mère tentait de me faire exorciser tout les deux jours sans succès.
Mais malgré les agressions sonores auxquelles je m'exposais sciemment, mon appétit de musique et de diversité dépassait mon Appetite For Destruction.
Les éructations Mustainiennes, les riffs de bûcherons d'Hetfield ou de Cavalera n'étaient pas mon unique nourriture adolescente, je dois l'admettre. Les grands du Rock ou du Blues venaient chatouiller à intervalles réguliers mon oreille interne ensablée.
Muddy, Les Stones, les Who, John Lee Hooker ou Janis venaient régulièrement me border avec un baiser tendre sur le front quand tard le soir disparaissaient Metallica, RATM ou Slayer.
Je n'étais donc pas en territoire inconnu avec l'ami Jimi, j'avais déjà dévoré ses trois albums solo à m'en faire péter le tympan et ceux de mes voisins.
Mais cette fois l'accroche Blues m'avait pris par l'oreille et m'avait amené jusqu'aux portes du magasin pour en faire l'acquisition, dans un format que les jeunes de vingt ans ne peuvent pas connaître: La cassette audio.
Blues d'Hendrix regroupe des enregistrements du Voodoo Child de 1966 à 1970 avec la Musique Bleue comme fil conducteur.
On était en droit de s'inquiéter de cette nouvelle fournée d'inédits ou semi-inédits après les catastrophiques albums posthumes Crash Landing et Midnight Lightning que le nouvel héritier de la Maison Hendrix: Alan Douglas produisit comme un manche ( Collant des solos de gratteux anonymes jouant " à la Hendrix" sur des parties jouées par Jimi himself ou mixant les chutes Hendrixiennes de façon actuelle quitte à trahir l'essence même du son sale et foisonnant de Jimi) et sans aucun respect pour l'âme et le style du chanteur/guitariste.
Mais foin de "remixage" approximatif sur cet opus. Le boulot a été fait proprement, grâce notamment à une technologie plus avancée en matière de mixages et de production ( Plus besoin de gratteux qui viennent cachetonner en faussaire d'Hendrix et autres tarabiscotages de studios plus ou moins réussis) et à un catalogue élargi grâce au numérique.
C'est un Jimi Hendrix qui replonge dans ses racines, qui revisite son passé, le passé de son peuple stigmatisé.
C'est un Blues différent, plein de Psychédélisme, de dissonances et d'acides. Hendrix joue le Blues, mais Hendrix reste Hendrix. Sa patte gauche griffe sauvagement le Blues ancestral, tandis que la droite verse une goutte de LSD dans son bourbon.
Les grands classiques Bluesy du Voodoo Child sont présente dans différentes versions (Studio et live pour Hear My Train A Comin' et UK / US pour Red House) plus ou moins indispensables.
Hendrix, en feu, reprend le Born Under A Bad Sign d'Albert King, lâchant une instru' de presque huit minutes où sa guitare folle redevient "sage" semblant rentrer dans le cadre Blues le plus strict, pour l'exploser par petites touches Psychédéliques; par quelques éclairs de violence crachés au fil du morceau.
C'est ensuite Elmore James et son Bleeding Heart que le môme de Seattle vient visiter. Il continue de martyriser à grands coups de Stratocaster gavée d'effets ce coeur mythique qui n'en finit plus de saigner.
Jimi rend enfin l'hommage sacré au Maître, au Créateur de l'électricité: Le Divin Muddy Waters. Il attaque le Catfish Blues de l'ancien dans la plus pure tradition du Blues Electrique Made in Chicago pour le déconstruire violemment par quelques solos furieux et revenir au ternaire historique.
C'est avec Mannish Boy (Enregistrement pourtant hétéroclite où plusieurs prises ont été assemblées pour créer le morceau final et qui est une vraie réussite.) qu'Hendrix vient plier l'acier Blues à son inspiration débridée. Il bourre sa gratte de Fuzz bouillant comme les flammes de l'enfer et injecte un Proto-Funk étrange, mutant, dans le sang pur du Blues Watersien.
Hendrix étale son Blues au couteau sur cette galette posthume.
Un disque hybride, recomposé, mais qui a le mérite d'exposer les racines Blues bien ancrées du Voodoo Child. Car derrière les effets sonores,derrière la Wah-Wah, les boas multicolores autour du cou ou les expérimentations musicales, il reste le guitariste.
Le guitariste et son instrument, et son histoire.
Parce que derrière Hendrix, il y a un peuple.
Parce que derrière ce peuple, il y a une âme.
Et parce qu'au fond de cette âme, il y a le Blues.
Hear My Train A Comin'