Bronco
7.1
Bronco

Album de Orville Peck (2022)

Lorsque son premier album nous parvint en 2019, de nombreuses voix s'élevèrent dans mon entourage pour solliciter mon avis sur Orville Peck. Sud-africain, canadien, country, punk, masqué, crooner, cowboy, queer et détenteur d'une garde-robe ahurissante, tant d'originalité ne pouvait manquer d'interpeller mon affection pour les personnalités fantasques. Bien évidemment, j'avais aimé "Pony", louable premier effort traversé d'une mélancolie douce et d'arrangements surannés au service de mélodies joliment dramatiques. L'été suivant sortait l'EP "Show Pony", qui renfermait une poignée de singles enjôleurs ("No Glory in the West", "Summertime") mais confirmait mon sentiment d'un grand potentiel encore en sous-régime. Sommé de signer une chronique de "Summertime" pour un projet collaboratif en ligne, mon grain de sel avait consisté à écrire que Peck, au-delà de sa fantaisie salvatrice dans un style en cruel besoin de renouveau, en avait encore beaucoup sous le pied. Les moments les plus affectés du premier album ("Queen of the Rodeo", "Buffalo Run", "Hope to Die") l'emportaient haut main sur les détours plus dépouillés où le souffle épique pouvait faire défaut ("Big Sky", par exemple). Pour parler en termes glam et queer, je le soupçonnais d'avoir plus l'étoffe d'un Jobriath que d'un Elton John. Peck était pour moi de ceux à qui la théâtralité, l'artifice et le kitsch embrassé à pleine langue siéent à ravir. Je pressentais qu'il lui faudrait plonger sa musique dans la même flamboyance que ses costumes de scènes pour pouvoir s'épanouir pleinement. Et ce n'est pas ce nouvel album qui me fera mentir.
Produit par le briscard Jay Joyce (quatre Country Music Awards à son actif), "Bronco" nous avait été annoncé par un impressionnant tiercé de singles à la production rutilante et à l'exécution impeccable. "C'mon Baby Cry", tout d'abord, est sans doute le titre le plus irrésistible que le cowboy masqué ait livré à ce jour. Suivirent le tapageur "Daytona Sand" (qui ouvre l'album dans son tracklisting final), d'un kitsch Vegasien savoureux, et "Curse of the Blackened Eye", à l'interprétation vocale de toute beauté. C'est d'ailleurs le constat le plus frappant qui se dégage à l'écoute de "Bronco" dans son entièreté. Orville a manifestement fait quelques pompes en prévision de l'enregistrement et affiche une forme vocale bluffante sur la quasi-totalité des cinquante-trois minutes de l'album. L'oscillation parfois hasardeuse de son timbre qui pouvait constituer une limite récurrente de "Pony" a laissé place à un vibrato musculeux à mi-chemin entre Elvis et Scott Walker. Sous-tendue par les arrangements à haut potentiel dramatique de Joyce, la voix d'Orville Peck semble enfin en phase avec son personnage. "Outta Time" est un superbe exercice de crooning guimauve avec lap-steel et chœurs féminins à la clé. "Lafayette", "Bronco" et "Any Turn" flirtent avec le rockabilly et le bluegrass, s'offrant au passage quelques saillies de guitares électriques et de claviers du plus bel effet. "Iris Rose" et "Blush", bâties sur des shuffles country plus classiques, tirent parti d'arrangements moins denses pour remettre au premier plan tout le charme des lignes vocales. "Hexie Mountains", avec ses paroles à cœur ouvert, joue la carte de l'Americana feutrée, toute en arpèges mélancoliques sur lesquels le banjo et la slide dialoguent en harmonie. On en viendrait presque à lâcher une petite larme virile en ôtant nos bottes sur le lit d'un motel maussade, après une longue chevauchée esseulée sur une autoroute abandonnée par la civilisation. Et voilà, Orville, on fait chialer les vagabonds musclés... Tu es content, j'espère ?
Inévitablement, avec quinze chansons et presque une heure au compteur, quelques moments moins probants sont voués à pointer leur nez. "City of Gold", malgré un texte à substance, n'est pas la meilleure composition du lot. C'est également la seule dont l'interprétation vocale manque de précision, ce qui détonne étrangement au milieu de tant d'autres titres si superbement chantés. "All I Can Say" est certes un joli duo avec Bria Salmena, mais j'aurais personnellement préféré que l'album se termine sur un vrai feu d'artifices grandiloquent à la hauteur de ses ambitions. Il y avait d'ailleurs de quoi choisir, entre "Kalahari Down" et ses cordes déchirantes, "Trample Out of Days" et sa tension ascendante nappée d'écho, ou encore "Let Me Drown", petite merveille mélodramatique sur laquelle les abdos vocaux d'Orville étincellent sous les feux des projecteurs.
Le parti pris parfois très pailleté de la production pourra laisser sur le carreau ceux que "Pony" avait enthousiasmés avec le country punk minimaliste de "Buffalo Run" ou les réminiscences très Johnny Cash de "Take You Back". "Bronco" est indéniablement plus proche de l'Elvis de Vegas que de l'Outlaw country granuleuse de Waylon Jennings (je conseille à ceux que cela frustrerait de se tourner vers Chris Stapleton, The White Buffalo, Sturgill Simpson ou Shooter Jennings, le fiston). Je trouve pour ma part qu'Orville Peck est bien plus à sa place au milieu des néons en forme de cactus de son récent passage chez Kimmel que lors de ses tournées précédentes où son excentricité était parfois contrariée par le dépouillement des compositions et de la scénographie. Si la poésie des romances entre hommes reste encore sous-représentée dans la chanson populaire américaine, notre amour pour la vulnérabilité burinée d'un Johnny Cash ne devrait pas nous faire oublier que la country a également toujours été la terre d'accueil des rhinestone cowboys. Longue vie au kitsch, donc, du moment qu'il nous offrira des troubadours flamboyants de la trempe d'Orville Peck.

P.S. : Après "Pony", "Show Pony" et "Bronco", les paris sont ouverts sur le titre du prochain album. "Mustang" ? "Stallion" ? "Stud" ? "Steed" ? "Pegasus" ? "Thoroughbred" ? Je m'interroge.

OrpheusJay
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le 29 mai 2022

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