Buddha
5.4
Buddha

Album de blink-182 (1994)

  L'adolescence est une période étrange de la vie, en ce qu'elle comporte intrinsèquement de découvertes et de premières fois diverses, mais aussi en son jugement postérieur. Une fois adulte, la plupart d'entre nous regardons l'enfance avec tendresse, et les étiquetés « jeunes adultes » de 20 ans comme de fougueux nageurs sur la ligne de départ du grand bain. Mais l'adolescence reste cette période rejetée, l'âge bête, l'âge ingrat. 
Pourtant, ces années sont celles qui vont former notre culture, puisque c'est le premier moment où nous allons choisir de consommer tel ou tel produit culturel. Produit qui finira dans la case « chose honteuse appréciée au collège/lycée ». Il y a une illégitimité à la teen culture, comme les teen movies uniquement montrés comme des navets décérébrés bourrés de sexe et d'alcool facile. Mais ce procédé prospère aussi en musique, et nous allons aujourd'hui d'un groupe qui a bercé beaucoup d'ados de ma génération, mais qui est aujourd'hui considéré comme la pire purge de la musique pop : Blink-182, souvent lu « blink cent quatre-vingt deux » par les teens non-bilingues.
Du groupe, la foule retient surtout l'album Enema Of The State, grosse machine pop décomplexée, indissociable du MTV de la fin des années 90. L'album comporte plusieurs singles entrés aux hits parade de l'époque : What's my Age Again? , Adam Song, ou bien sûr All The Small Things, parodiée chez nous par l'enfant commercial de la pop punk : Superbus.

Et c'est un des problèmes, quand une mode explose, on fini par être débordés de références et tout coller dans le même sac. Quand MTV s'approprie la culture skate, des dizaines et des dizaines de groupes souvent médiocres vont venir surfer sur la vague que Blink-182 a lancé. Tout le monde a entendu parler de Sum41, Good Charlotte, Simple Plan, Yellowcard et d'autres. Ces groupes très souvent dispensables, disparaîtront des écrans pour la plupart une fois l'écume passé. Le trio dont on parle ici n'échappera pas à la règle, s'enfonçant de plus en plus dans des textes sirupeux, sur des mélodies à la Katy Perry, le fun de la pop star en moins.
Mais avant le tsunami d'Enema Of The State travaillé comme « plus lisse et mainstream », du propre aveu des compositeurs, et son déclin dans les années 2000, Blink c'était quoi ? C'était quoi, avant qu'effectivement, le succès gigantesque et l'argent change le groupe en boys band consensuel ? Eh bien rien de plus que trois adolescents un peu teubés, Mark, Scott et Tom, fans du punk rock de Bad Religion et de rock indé à la Dinosaur Jr.


  Les trois comparses jouent vite, pas très bien, enregistrent le tout sur des 4 pistes lo-fi, joue dans des garages, se font virer des barres et essuient les critiques négatives. Et après une démo confidentiel, il sortent Buddha, l'album dont nous allons parler aujourd'hui. Album, car s'il est considérer comme une démo lui aussi, il comporte néanmoins 15 chansons et sera réédité par Kung Fu Records en 1998. 

Comme la majorité des teens, l'écriture parle de filles, de ruptures, de grandir dans des patelins paumés, du mal-être adolescent et l'humour concon-caca n'est pas encore tout à fait au rendez vous.


  On a en fait avec Buddha, plus l'impression d'une lecture de journal intime délicieusement kitsch au goût de stylo plume et de cahier à spirales, étalé sur plus d'une douzaine de titres tous similaires, comme un seul gros discours. Peu de variété dans les morceaux certes, mais une ingéniosité mélodique, qu'on retrouve dès l'ouverture, avec Carousel, hymne brouillon et imparable, aussi cheap que spontané et efficace. La rythmique punk assez soutenue et rapide ne sert que de squelette à des envolées maladroites, des riffs faussement techniques, des voix éraillées de la jeunesse. Le tout donne donc ce diary de teenager, sincère, au son brut et crade, loin des façonnage trop engoncés des années 2000, sans posture ni réelle ambition vu le tirage encore très mince, avant sa réédition. 
À l'âge adulte, j'avais un peu délaissé Blink, avec des singles trop « radio-friendly », et redécouvrir Buddha est un vrai plaisir. Il se dégage une candeur touchante, la même que je retrouve parfois quand des lecteurs et lectrices de mes BD plus jeunes, environ 16/17 ans, viennent me parler de leur vie. Une vie qu'on a globalement tous traversé dans le doute et le questionnement. Débarrassé de mon snobisme de la vingtaine, quand on se met à croire qu'il y a une « bonne musique », je peux aujourd'hui placer sans honte Buddha dans mon top 10 de mes albums préférés de la vie, et ainsi réhabilité un chef-d'oeuvre de bricolage teen, ainsi que ma propre adolescence.

Cet album permettra la sortie du suivant, le premier « officiel », Cheshire Cat, à considérer comme un jumeau mieux présentable, avec quelques morceaux identiques, d'autres compos, les deux formant plutôt une espèce de double-album non avoué. Puis viendra Dude Ranch, où les choses à mon sens commenceront à basculer : on y ressent une production plus désireuse de plaire au grand nombre, des singles épiques comme Dammit (très bon morceau au demeurant), mais surtout et hélas une communication gagesque et auto-caricaturale, très basée sur les blagues de cul. Les morceaux sont musicalement tous très bons, attention. Mais les lyrics s'éloignent du domaine fragile de la poésie adolescente, pour celui des blagues de bully du lycée. Dude Ranch quitte donc majoritairement la période de malaise social, repliée sur ses affaires de weirdo et de ruptures, pour se concentrer sur celle, moins intéressante, où des quaterbacks vont des vannes zoophiles.


Voilà. Pour moi, Blink c'est ça : un duo d'album qui captent avec génie l'étincelle fugace des premiers émois. Le reste est ce que vous avez vu à MTV : de l'américain moyen de base.


Qu'on s'entende, est-ce que la morale de cette histoire, c'est de vous pousser à écouter Buddha de Blink-182 ? Non, il y a dans l'adolescence passée, une partie de madeleine de Proust, une nostalgie et une tendresse qui est propre à chacun; s'y mettre à posteriori n'est jamais exercice facile ou plaisant. Non, ce que je vous conseille en revanche, c'est de déterrer vos vieux albums d'adolescence, vos K7 ou CD honteux de pop teen culture, et de retrouver ce qui vous plaisait là dedans en y re-goûtant. Ayant mûri vos papilles, vous trouverez peut-être un attrait nouveau pour des saveurs oubliées. Et, à l'image de Carousel qui ouvre à la fois Buddha et l'album suivant Cheshire Cat, s'autoriser le plaisir immature d'un dernier tour de manège.

Shyle
9
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Créée

le 4 nov. 2018

Critique lue 233 fois

Chlorine Z

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