Et Dieu vit que c'était bon.
Je me lance corps et âme dans la tâche presque impossible de chroniquer Blonde On Blonde. Impossible, parce qu'il s'agit de Dylan, est qu'il est très difficile d'écrire sur l'homme, tant il a fait, tant il y a dire. On aimerait à chaque musique souligner les anecdotes, les petites mélodies perdues dans un coin, relever les paroles si écrites et poétiques. L'homme est unique et il faudrait bien des journées pour arriver à dire de lui tout ce qu'on en pense, tout ce qu'on en a entendu, les anecdotes, les répliques, tout vous dis-je !
Impossible aussi, parce que Blonde On Blonde est, on ne vas pas se le cacher, un monument de la musique. Chacun sait qu'il découle d'un Zimmerman au sommet de sa forme, au paroxysme de son art. Différent, unique, et en même temps accessible et incroyablement en avance sur son temps. Il est de ces hommes qui sont aux yeux du plus grand nombre, des piliers de la musique. Certains sont reconnus comme tels, comme le furent les Beatles. D'autres ont plus du mal à passer les frontières comme Cash ou Buddy Holly. Dylan se site un peu entre les deux dans le principe, et dans la chronologie. Malheureusement, il est par exemple peu probable que vous entendiez autre chose que "Like A Rolling Stone" ou "Blowin' In The Wind" à la radio (si vous l'écoutez) en France. Et pourtant, nombre de compositeurs à deux sous du dimanche, idoles des mémères quinquagénaires s'inspirent et revendiquent l'adoration à Dylan. Mais si, on compte combien on pompé "I Want You" par exemple? Et bien justement, ce bijou est sur cet album, nous y viendrons.
Alors pourquoi chroniquer et se lancer dans l'écriture impulsive encore aujourd'hui, sur notre cher ami foutraque mi-écrivain mi-musicien? Sans doute par le plus simple des plaisirs, de pouvoir déposer nos propres mots sur ce qui nous semble relever du divin. Je n'ai pas peur des mots, non. Et ça commence seulement. Bobby écrit des pages et des pages, parfois pour être chanté, parfois non. De là sort des pavés délicieux comme l'herculéen pamphlet "Hurricane" qui sortira plus tard en 1975 avec l'album Desire, par exemple. Mais ne nous avançons pas.
Une très très brève historique pour mettre au parfum les deux ou trois qui ignorent l'histoire, le contexte.
Nous sommes au beau milieu des années 60s, Dylan est un chanteur folk et reconnu comme tel. Ses textes engagés plaisent à la jeunesse qui y voit un message, et le terme de "protest song" lui colle alors à la peau. Des mélodies simples, une guitare, une voix nasale de jeune vieux et un harmonica qui semble bouché. Voilà les base de ce qu'on appelle la trilogie folk, sur laquelle il serait bien trop long de revenir. Des hymnes en sortent, comme tombés du ciel. Nous les connaissons tous, comme "Blowin' in the Wind" ou "The Times They Are A-Changin' ". Cependant, jamais un artiste créatif et à la personnalité si complexe de Bob ne se complait dans la simplicité et la reproduction perpétuelle de ce qui a déjà été fait.
Another Side Of Bob Dylan, album presque oublié de par le fameux côté de l'album charnière, marque un premier tournant en s'appuyant sur des lyrics plus envolés et poétiques. Seule la composition musicale reste fidèle à l'idiome folk. Mais cette tournure poétique n'est cependant pas futile et superficielle comme on l'a cru à l'époque. Ce n'est pas qu'un caprice. Dylan ressent les "protest songs" comme de gros slogans qui ne servent à rien, qui s'entassent et deviennent en eux même des caricatures de ce qu'est la musique folk pour lui.
Toujours est-il que cette période dite folk, est encore aujourd'hui la Bible de bien des aficionados de la musique. Incontournable, simplement. Une légende veut que le mouvement anti-folk, années 90/2000, se soit appelé ainsi pour se démarquer non sans respect de tout ces guitaristes qui reprenaient du Dylan dans les parcs américains. Bref.
Dylan tente alors un virage plus radical, mettant sur la face du disque Bringing It All Back Home un groupe derrière lui, électrique. A l'heure ou Cash s'y refuse, lui ose. En plus, c'est la face A du disque. Malgré la ressemblance toujours frappante entre les précédents albums et celui-ci, certains viendront se plaindre de cette musique de corrompu, de vendu, de Judas. Je n'apprends rien à personne en écrivant ce dernier mot. Dylan offre pourtant même une protest song ("It's Alright Ma (I'm Only Bleeding)" comme pour dire "bon les gars, il y a de l'électrique, c'est l'avenir, mais ça change rien!". Futilité que les adorateurs d'instruments acoustiques snoberont, boudant alors par la même occasion l'album, malgré la tournée gigantesque pour l'époque qui s'en suit. On comprendra néanmoins la surprise des auditeurs.
Hué et déclamé, Dylan, filmé pour le bien du documentaire Don't Look Back, se justifie alors avec humour.
" J'ai mes amis là, tu vois, ils ont besoin de jouer. Tu ne veux pas que je leur donne du travail? Si? Bah voilà. "
En ça, la musique de Bob est indissociable de son comportement, des petites piques et de sa personnalité. Le tout forme une matière opaque qu'on est dans l'obligation de creuser un peu si l'on veut se mettre à l'écouter. Paradoxalement à tout cela, l'album est un succès commercial. Un public moins borné sans doute y aura trouvé ses marques.
Arrive Highway 61. Plus de concessions, plus de doutes. L'insolence presque involontaire de vouloir faire ce que l'on veut a remplacé tout ces sentiments fallacieux. Elle devient le fer et l'arme qui abat sans retenu l'aristocratie et l'orthodoxie folk. Mais de toute manière, les gens sont de gros lourdeaux qui s'attardent sur des détails insignifiants de toute manière. L'opus démarre sur un "Like A Rolling Stone" tiré de sa plus belle prose, et contient de nombreuses ballades rock. Les textes sont taillés à la pointe dans un onirisme parfois profond et insondable, sortit de l'imaginaire de l'homme ("Ballad Of A Thin Man"). Et Dylan, renforcé dans sa conviction par la rencontre avec les Beatles met du cœur à l'ouvrage dans le déploiement d'un rock haché au couteau et servit presque brut. On a longtemps dit, et l'on dit encore qu'il méprisait alors son public. Je pense qu'il était avant tout, comme tout être humain, fâché qu'on puisse si mal comprendre son œuvre. Incompris autant que trop mis en avant dans une gloire qui n'était sans doute pas appropriée, l'étouffement est certain s'il l'on ne dévie pas sa route de quelques iotas. C'est donc ce qu'il fait. Garage band aux basques, lunettes noires aux front, Dylan continue à tourner avec The Hawks, groupe au line-up variable qui deviendra en toute sobriété The Band, ensuite. Le temps passe depuis el Festival de Newport de 1965, et la bête est route pour le dernier (et pas des moindres) opus de ce qu'on appelle "la trilogie électrique"... Enregistré à Nashville dans les excès de l'alcool et du talent, Blonde On Blonde est mit sur les rails en 1966.
* * *
Blonde On Blonde, ou le premier et sans doute l'un des meilleurs double-album de l'Histoire. Le meilleur ? Allez, les paris sont lancés...
Dans cet opus donc, on y retrouve un Dylan plus réfléchit musicalement, et dans une espèce de romance sans fin. Le tout baigne dans une aurore douce et blonde (justement) comme du qu'on dirait plongée dans un film de Jeunet. Cependant, point question de s'abaisser à l'innocence primaire d'un premier rendez vous. Non, Bob restera Bob et clame haut et fort son goût pour l'ivresse. Ivresse de la drogues, de boissons, des femmes et de l'hédonisme. Cependant, le tout reste étrangement romantique, j'y viendrais. L'alcool donc, se présente à l'entrée, dès la première porte. Clinquante et aussi floue que la pochette de l'album, "Rainy Day Women" tombe comme un ivrogne de sa chaise. Couleur blonde d'un houblon bluesy aux accords de pianos tâchés d'alcool au fond d'un sombre bar. Le Blues continue encore avant de tomber sur le premier caillou d'or massif.
And this visions of Johanna... Bob Dylan écrit sur feuille de romance sans jamais plonger sa plume dans une encore rose et mièvre. Bien au contraire, le morceau s'envole, sans trop avoir pieds sur nos communes bases de couplets/refrain. Tout est encore une fois, bien flou, mais dans un parti prit artistique, presque photographique. Tout le reste n'est que bonheur. Il est rare qu'on puisse dire d'un album qu'il soit entièrement divin. Dylan a réussit. Rien à jeté, rien à retoucher... La simple contemplation auditive intemporelle de la musique se suffit à elle même. La voix semble moins éraillée, plus goguenarde, et nous importe dans une sorte d'élan de sympathie loin des moroses "Lonesome Death of Hattie Caroll" (qui reste un morceau génial ceci dit).
Puis comme dans tout film romanesque, arrive le paroxysme, la déclaration, ici formulée dans sa plus simple version, son plus simple appareil: "I Want You".
Ce rythme, cette batterie, cette guitare qui suit les images que le chant lui dessine... Dylan parle et on l'écoute. Qui n'a jamais soufflé (ou essayé du moins) cet air curieux et peu retranscriptible. Les claviers semblent pourvus d'ailes alors qu'aucune note, aucune fausse complexité ne vient combler l'écoute de ce que j'estime être la première pop song réussie et universelle. Ce n'est pas que ça d'ailleurs, pas qu'une jolie musique, mais plus un film qu'on aurait mouliné en note, des images qu'on aurait collées sur des partitions. On dirait une marche esseulée dans une ville d'amoureux, un résumé presque épique de ce que peut être une déclaration. Il nous est temps de soupirer et se lamenter des trois minutes les plus courtes au monde.
Heureusement pour nous, le reste est tout aussi génial. Issu de je ne sais quel miracle tout passe comme une bière avec une amie qui deviendra notre copine la nuit tombée. Les musiques sont longues et construites, comme leurs titres ("Stuck Inside Of Mobile With The Memphis Blues Again"), clamés simplement en refrains enchanteurs. Sans trop se poser d'autres questions.
On se prend au jeu de croire Dylan avec ses orgues grandiloquents ses arrangements presque symphoniques et son affection sincère, bien que parfois cynique. Son harmonica lui, contient de soutenir le chanteur sur ces mots d'amour que sont les hits de l'album ("Just Like A Woman"), maintes fois repris encore aujourd'hui. Dans Blonde on Blonde, on a envie de revivre chaque note alors que Bob s'épanche sur des textes lourds en taille et léger à entendre. "Moste Likely Your Way" est une Beatles-song avant l'heure. Enfin, plutôt pendant l'heure, les uns étant les influences des autres et inversement.
Voilà, la totalité de la double-galette tient en une heure de pur délice. L'orgue se prête parfaitement au style, et nous avons l'habitude de dire mes amis et moi que "Blonde On Blonde est le paroxysme de l'orgue Dylanien". Parfaitement mené, simplement parfait. On pourrait tartiner encore sur cette galette, sans jamais en être écœuré, tellement chaque écoute est un bon souvenir et à la fois une redécouverte.
Cet album est donc, vous l'aurez compris aisément, un chef d'œuvre assuré et reconnu comme tel. Bien sur, il est vain d'aligner autant de lignes sur ce qui tient de l'indescriptible, mais la passion que je ressens en écoutant cet album pourrait, je vous le conçois, faire courir mes doigts indéfiniment sur mon clavier sans jamais que je ne m'en lasse. Simplement orgasmique, simplement géniale. Beaucoup se demanderont à qui sont les mots doux, dures ou n'importe quoi. Quelle conquête, ou non-conquête inspire de tel acte. Je préfère laisser le mystère laissant le génie à sa place plutôt que de lui chercher légitimité dans des influences aussi variées qu'une femme ou une drogue. Dylan a tout fait, et sait ce qu'il a fait. Il n'a rien oublié, pas une phrase, pas une sonorité bluesy, pas un harmonica tremblant, pas un tremolo, pas un cri dans la voix.
Petit point d'orgue encore une fois à "4th Time Around" et son intro que nul mot ne décrit, et la très longue (11 minutes) ballade "Sad Eyed Lady Of The Lawlands". Un morceau touchant, planant, presque automnal.
En conclusion, Blonde On Blonde est, comme l'a critique l'a pour une fois justement accordé, simplement indispensable, multi-facettes de Bob Dylan et pourtant tellement cohérent dans sa continuité. Bien qu'on ne puisse pas conseiller de commencer la discographie de l'homme par ce qui est défini comme un dernier volet d'une trilogie, il regroupe néanmoins le folk des 3 premiers opus, l'énergie de Highway 61, et la poésie de Another Side Of Bob Dylan. Cette dernière, devenue ambiante et décomplexée de tout moule du folk américain , de la célébrité et de ses superficialités. Prose parfaite et déclamation de vers subtils, il ne doit, j'espère pas avoir un fan de Bobby qui n'aime pas cet album.
Succès de l'époque et bien encore aujourd'hui, jamais des gros tarés comme moi ne s'arrêteront d'écrire pavés sur pavés pour défendre ce bijou d'un grand artiste, et ce qui est sans doute l'un de ses meilleurs disques. Un des meilleurs disques jamais fait tout court.
La folie aurait été d'abandonné l'écriture du dit-pavé; ce que je n'aurais fait qu'une fois les mains coupées, ou la vie stoppée. J'aurais pu continuer, encore! Mais laissons le parfait là ou nous ne pouvons l'attendre. Juste l'admirer. Et encore, sans parfois trop en comprendre toutes les teneurs. Transcendant et intemporel, même 20 est une note trop cadrée pour Blonde...
Si vous ne l'avez jamais écouté, prenez votre temps. Pas d'urgence. Ecrivez le juste sur un bout de papier comme chose à faire dans votre vie. Oui.
Un jour, n'importe quand, à n'importe quels lieu, fréquence et circonstance, écoutez un jour ou plus, une fois ou plus, écoutez Blonde On Blonde de Bob Dylan.
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