Pour moi, c'est incontestablement le meilleur cru d'Alain Souchon, celui où il se lâche, celui où il donne le meilleur de lui-même. Il n'avait jamais fait mieux, il ne fera plus jamais mieux, selon moi. C'est ici que le poète étranger en ce monde, le Pierrot de la Chanson, y délivre son constat amer et semble appeler à la Gentillesse Insoumise depuis sa tour musicale.
"Foule Sentimentale", malgré ses multiples rediffusions à la radio, je ne m'en lasserai jamais. Paroles impeccables, musique impeccable, final original : je tripe. "L'amour à la machine" vaut plus pour sa musique, magnifique, que pour son texte plutôt facile mais efficace quand même. "Sous les jupes des filles", où Souchon s'essaie à un reggae Souchien (et ça lui réussit bien !), resplendit par son acrobatie verbale et son timing faussement simple. Le chanteur au stylo d'enfant et à l'amertume d'adulte nous entraine ensuite dans ses regrets, via un clavier et une guitare délicieusement minimalistes, et nous touche au plein cœur. "Les Filles électriques", lui aussi brillante de modestie, est une chanson cette fois amusée, et qui évoque beaucoup d'éléments de l'éternel mystère féminin. "Arlette Laguiller" est un vrai faux pas : tout simplement, il me procure beaucoup d'ennui, le propos est déjà vieux, les paroles font cette fois foutage de gueule. Faut dire que ses lyrics sont d'un équilibre subtil, étant donné que s'il rate certains choix de mots, on a vite l'impression qu'il a torché ses paroles... C'est ça, le revers de son style ! Il se rattrape avec "Chanter c'est lancer des balles", plus franchement sombre que les autres, et empreinte d'un vrai mystère. Sa fin reste ouverte aux interprétations : Râper, morose, pour changer les choses / Et même, en désespoir de cause / Des blagues au téléphone / Pour faire rire les personnes / Et la mère de Jim Morrison... Je vous laisse divaguer à votre envie sur cette conclusion ! "Sans queue ni tête" est pas mal, même si elle aurait pu être mieux si le refrain avait été plus stylé ; mais le charme des couplets fait tout. "Le fil" et "Le Zèbre", aux styles et tons musicaux similaires (métaphoriques, empreints des années 90, doucement mélancoliques) sont de bonnes chansons, qui caressent particulièrement bien au soleil. L'album se conclut sur une chanson plus nettement engagée que d'habitude, "C'est déjà ça": remarquable. Ses consonances, son jeu avec la sonorité des mots et sa musique qui semble rassembler divers éléments de divers styles donnent toute la singularité et personnalité attachante de cette fin.
Moi, ça me fait du bien d'entendre "Foule Sentimentale" dans un hyper U. Y'en a pas des masses, des chansons d'une telle pertinence sur un des fléaux de notre siècle. Mais il y a Souchon, et c'est déjà ça.