1. Le Rap français tente de s’émanciper de son ancienne gloire. Après un âge d’or reconnu (1995-2002) et malgré quelques MC’s qui survolent le genre, le gros des troupes qui le constitue peine à le renouveler et proposent soit un rap calibré pour les radios soit un hardcore mal dégrossi et baclé.
    Sur Skyrock, Rohff et Booba sont les rois du jeu et distribuent autant de CD que la plupart des indépendants de qualité à renforts de singles issus d’albums corrects mais loin d’être exceptionnels.
    Dans l’ombre, un duo commence à faire son trou. Deux MC’s de Seine-Saint-Denis : Mac Kregor et Mac Tyer.


Leur réputation s’était faite depuis 2001 avec un EP sorti dans un quasi anonymat mais applaudi par toutes les critiques : Ceux qui le savent m’écoutent. 9 titres sombres dont 4 morceaux inoubliables.
Allitérations en pagaille, flows virulents, voix d’outre-tombe, vocabulaire extrêmement riche, rimes démesurément longues et noirceur portée en étendard font du cd un classique instantané. Hélas pour le duo, c’est un échec commercial.
Alors, après un mixtape mi-figue mi-raisin en 2004 (Tandematique Modèle, vol.1), Mac Tyer et Mac Kregor sortent le grand jeu : des voix plus affirmées, une ambiance plus dure, un ton plus hardcore, des textes un peu plus classiques, Tandem est de retour avec leur premier et unique album C’est Toujours pour ceux qui savent.


Dès la première track, l’ambiance est posée : elle sera hardcore. "93 Hardcore" est un peu le "Seine-Saint-Denis Style" de la nouvelle génération : plus dur, plus violent, plus énervé. Doté de trois couplets énervés à souhait et aux belles assonances ("Carcéral vécu/ chez nous y’a pas d’sécu/ Rien qu’on nous persécute/ Mais tu vas perdre face a Belzébuth/ Si t’as fait de belles études/ C’est mieux qu’une grosse peine, sais-tu ?/ Que faire du bitume/ C’est voir des frères qui s’entubent ou qui s’entre-tuent ?"), l’hymne est fédérateur et est même relayé en radio malgré sa violence. Mais c’est la deuxième piste qui mènera le groupe au succès commercial avec "Le Monde est stone". 6 mois avant le titre du même nom des marseillais Psy4 de la Rime, Mac Tyer et Mac Kregor chante l’âpreté de notre univers, sa froideur sans pitié avec un refrain aux allitérations mémorables : "C’est pour les halls/ les mères qui prennent le trom/ les mômes qui s’crament trop tôt/ on a trop les crocs/ le monde est stone/ (STONE) ma gueule, c’est trop facile de nous juger/ mais qui s’y plaît dans les cités/
à part les jeunes dissipés ?". Trois couplets sombres et désespérés à souhait ("Sans blague/ combien de black va falloir qu’j’descende pour avoir cent plaques ?") sur un boucle ravageuse : le classique est là, le succès également à renfort de reprises permanentes sur 96.0 et 88.2.


Si l’album contient tout de même quelques titres moyens ("Laisse moi le temps", "Trop Speed", "Nostalgique", "Bouge"), le contenu reste pourtant de très haut niveau. Les très gros titres préparent les classiques avant d’enchaîner sur de mémorables concepts à l’image de la fameuse Trilogie.
"Morceau" concept comme le rap français sait si bien le faire (telle "L’Interview" de Lino ou "Panam All Stars" de Sniper), la Trilogie est un enchaînement de 3 titres formant une unité story-telling contant les mésaventures d’un ex-détenu qui replonge malgré lui.
"Un Jour comme un autre" narre ainsi la sale vie d’un taulard à travers le prisme d’un pessimisme virulent et de références originales ("Marre de tout ce vacarme et d’vider mes couilles sur Canal/ Clara Morgane m’aurait compris, tellement mon zgueg me fait mal") tandis que "Frères ennemis" décrit l’épisode de vengeance du même détenu après sa sortie. Superbe épilogue de cette histoire, "Le Jugement" est un morceau "all stars" en featuring avec Diam’s, Kery James, Lino, Kazkami et Faf Larage, où chaque rappeur joue le rôle d’un membre de la cour d’assises lors du procès du fameux détenu suite à sa vengeance ratée.


Au-delà des exercices de style rapologiques, Mac Tyer et Mac Kregor savent aussi distiller des titres plus classiques mais diablement efficaces tel le magistral "J’ai trop de coeur".
Magnifique solo sombre et spleenesque de Mac Kregor, le morceau est une description détaillée de sa profonde sensibilité et des conséquences sur sa vie de ce sentimentalisme ("Ça pue l’porc dans les blocs/ la sudation qui s’écoule de mes pores/ Te démontre à quel point la vie peut être hardcore au sein des tiens").
Après seize tracks, l’album se clot sur une outro inégalable : "Vécu de poissard", longue liturgie pessimiste et violente de plus de 7 minutes au texte truffé de punchlines lourdes de sens et de figures de styles sonores ("Pour ma part j’identifie mes défaillances selon mon moral/ Sous mes tacles que l’spliff et l’orage/ Que j’gratte le SMIC chez Séphora/ J’me met en mode défouraillage/ Gars j’me décourage pas")


L’album se termine alors. Une envie nous taraude déjà : le réécouter.
Car malgré un qualité inégale, un Mac Kregor plus impressionnant que Mac Tyer, un mix chronologique assez étrange (certains titres comme "Dans ma Rue" sont bien plus anciens que les autres, on les reconnaît d’ailleurs par les voix plus "douces" des deux rappeurs) et un niveau global plutôt en deçà du premier EP, l’album fait désormais partie du patrimoine du rap français.
Un classique du Rap hardcore à classer près de Mauvais Oeil de Lunatic ou de Quelques Gouttes suffisent d’Arsenik.
Finalement, l’âge d’or du Rap français n’était peut-être pas terminé en 2005 ?


Best tracks :


1/ J’ai trop de coeur


2/ Le Monde est stone


3/ Vécu de poissard


4/ 93 Hardcore


5/ Le Jugement ft. Diam’s, Kery James, Kazkami, Lino & Faf Larage


Et vous vous en pensez quoi de cet album ?

jeyare
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le 5 oct. 2014

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