Ce petit bijou de disque (dis-je alors que je n'ai entendu là qu'une seule chanson) montre encore une fois que les influences de certains artistes sont évidentes dès la première écoute mais qu'elles ne viennent en aucun cas compromettre l'originalité de l'oeuvre.
Des voix cristallines, habitées d'un lyrisme rare, mélancoliques juste ce qu'il faut. De ce bon folk qui raconte une histoire, un thème, un truc qui nous possède tout de suite, et même si l'on ne comprend que moyennement l'anglais, la mélodie de la chanson, en parfaite adéquation avec le sujet abordé, nous rappelle qu'on est dans la bulle avec les auteurs, et qu'on ne la quittera plus.
Des influences évidentes dis-je plus haut. Oui, assurément. Je crois bien que je tiens enfin là mon groupe folk - pop contemporain renvoyant magnifiquement à mes héros de Fairport Convention. Le problème, c'est qu'à l'écoute des chansons, je pense aussi fortement à Simon & Garfunkel, comme sur « All of me wants all of you », chantée comme l'aurait sûrement fait les New Yorkais, chuchotée comme si ces paroles nous disaient là un secret d'amour qu'il ne faudrait en aucun cas révéler au grand jour, mais dont l'expression musicale viendrait soulager d'une souffrance indicible la plus belle des âmes perdues.
Les voix sont à pleurer, de beauté suspendue (« Drawn to the blood »). D'ailleurs, n'a-t-on pas l'impression, parfois, que le chanteur pleure plus qu'il ne chante ? Je pensais que seul Elliot Smith m'aurait fait cet effet (« No Shade In The Shadow Of The Cross »).
Les arrangements sont tout en finesse, légers, clairs, simples, justes. De l'art d'avoir le ton juste, la note juste, de l'art de ne jamais en faire trop, tout en donnant l'impression d'occuper tout l'espace possible.
« Fourth Of July » est un rêve éveillé. Le fond sonore, électronique et brumeux, peut faire penser à Radiohead, et en cela aussi n'est pas particulièrement serein. Mais cette tristesse transmise est étrangement agréable, elle pose l'esprit comme si l'auteur nous invitait à regarder avec lui ses peines, ses malheurs, sa tragédie personnelle. Une musique aussi triste qu'intriguante.
« The only thing » est peut-être, subitement, tout à coup, la seule chanson que j'ai envie de jouer à la guitare (ou est-ce de la mandoline?). Ces petites notes enfantines ne peuvent qu'attendrir, et il faudrait un cœur de pierre pour ne pas être touché par pareilles mélodies.
Et que dire alors de « Carrie & Lowell » ? Que la beauté à enfin un nom. Peut-être suis-je là en train d'en faire trop, de trop vendre l'album ? Oui, mais à ce stade d'écoute de l'album, je ne pense plus aux glorieux aînés cités plus haut, car, finalement, peut-être est-ce cela, avoir le génie folk en 2015, c'est donner l'impression d'avoir maintes fois entendu ce qu'on nous propose, plonger dans une bulle méconnaissable et sans limites, pour en ressortir immensément convaincu par au moins une chose : ce que je viens d'écouter n'existait pas avant.
Devant pareille musique, nous devrions tous nous agenouiller, avoir honte de noter cela en dessous de 9/10, ou même de noter tout court. L'émotion ne s'évalue pas, pareille beauté ne peut être utilisée à des fins de classements ou de listes finalement très terre-à-terre, rédhibitoires. Puisse ma critique, élogieuse j'en conviens, au moins permettre au quidam lecteur de foncer acheter l'album. Pareil groupe ne mérite pas que l'on télécharge. On ne triche pas avec une musique pareille, avec pareille émotion, comme celle qui vient délicieusement clore l'album (« Blue Bucket Of Gold »), avec des airs mémorables, des harmonies vocales douces et langoureuses, comme s'il s'agissait de mettre en musique le souvenir d'avoir entendu là un chef-d'oeuvre.
L'un des albums de l'année.