Le V fait peine à voir. Autrefois rayonnant, l’astre VALD a perdu de son éclat, et rien ne semble indiquer qu’il le retrouvera un jour.
Il fut un temps où je le considérais moi-même comme l’élu du rap français. Avec son fort taux de midi-chloriens, son charisme presque contre nature et sa technicité à toute épreuve, Vald avait apporté un vent, que dis-je, une tempête de fraîcheur dans un rap jeu en pleine métamorphose.
Souvenez-vous : Bonjour sortait à la mi-2015, Internet avait à peine eu le temps de se remettre de l’épineux débat de la robe bleue noire ou blanche dorée qu’il devait à nouveau s’écharper sur un nouveau sujet : Vald est-il un troll ou un génie ? Doit-on y voir de la branlette intellectuelle calculée ou une véritable chiée de talent ?
Des puceaux boutonneux de la France entière se sont alors affrontés par claviers interposés, peaufinant leur dissertation pour défendre une thèse ou l’autre à qui voudrait bien les lire. Même ARTE a cru bon d’y fourrer son nez, dans ce qui restera un des reportages les plus malhonnêtes et hors sujet de l’histoire du journalisme musical (comparer Vald, Lorenzo et Dieudonné, fallait le faire, voir par ailleurs). Le jeune rappeur d’Aulnay-sous-bois enflammait les débats et ne laissait personne indifférent, ce qui était sa principale force.
Pour ma part, j’avais décidé d’éviter toute cette agitation stérile et de me plonger plutôt dans la discographie du bonhomme. Vous l’aurez compris, j’étais déjà à cette époque au-dessus de la masse, et ce, malgré mon pucelage persistant. C’est à ce moment que j’ai compris qu’il pouvait être le chosen one : Ses premières mixtapes, bien qu’irrégulières et bordéliques, débordaient de bonnes idées et de talent. NQNT 2 est un classique ©, et reste à mes yeux le meilleur projet de sa carrière. Se sont succédés le loufoque Agartha et l’explosif XEU, deux énormes succès qui ont confirmé tout le potentiel du V, sur le plan musical et technique d’une part, mais aussi (et surtout) dans la construction de son personnage et de sa stratégie de communication.
Vald était au sommet de son art, et rien ne paraissait pouvoir arrêter sa marche en avant. De toute façon, à partir du moment où t’es la tête de gondole du forum 18-25 de jeuxvideo.com et que t’as une vidéo react d’Amine et Hugo à ton nom, tu as objectivement réussi ta vie, et as implicitement gagné le droit de prendre ta retraite en profitant de ta popularité nouvellement acquise auprès des lycéennes de Neuilly-sur-Seine. C’est pas moi qui le dis, c’est la section commentaires des vidéos d’Amine et Hugo. Et toc !
«Si à 50 ans, Amine et Hugo n’ont pas dit que tu étais le goat, t’as raté ta vie»
Amine et Hugo
Puis vint le troisième album de Vald, Ce Monde est Cruel. Niveau teasing, on a eu droit à du Vald pur jus : promo aussi démesurée qu’inattendue au Japon, interviews décalées et planète rap exclusif, avec le même message martelé sur tous les supports : cet album est encore plus fort et plus chaud que tout ce qu’il a pu faire précédemment. Doubt intensifies
Le premier single Journal Perso II laissait déjà transparaître quelques faiblesses. Si la vivacité lyrique de Vald était toujours présente, il y avait quelque chose de ridicule et forcé dans les lignes de piano mièvres et ultra caricaturales qui servent de base au morceau. Toute la chanson semble crier à la face de l’auditeur « CECI EST UNE CHANSON MELANCOLIQUE QUI TE FERA RAIFLAICHIR SUR LA SOSSIETER ». Et quand on se rend compte qu’il s’agit en fait d’une des meilleures chansons de l’album, on ne peut que constater les dégâts.
Ce Monde est Cruel, en plus d’être un échec musical retentissant, est incompréhensible à bien des niveaux. Tout d’abord, comment Vald a-t-il pu autant régresser dans ses textes en si peu de temps ? On a l’impression d’entendre des discussions de Jean-Kévin et de Samantha des anges de la téléréalité sur la chanson-titre et Keskivonfer, une déclaration d’amour d’un 1ère L option Guillaume Musso sur Ma Star, ou tout simplement deux bons bolosses qui utilisent les mots « mathématiques » et « équations » dès qu’ils voient trois nombres sur une même ligne, à la fin du morceau No friends (ce qui est d’autant plus dommage que ce son est certainement l’un des meilleurs de l’album). Même Pensionman, qui part d’une bonne idée, est gâché par des lyrics d’un niveau Koba Lad-esque qui tournent à la récitation de règlement administratif :
C’est mieux que la CAF
C'est indexé sur les revenus du père
C'est mieux que la CAF
Ça n'en finit jamais d'monter
Sœur, c'est mieux que la CAF
C'est indexé sur les revenus, choisis bien l'père
On est très loin des chefs d’œuvre de narration qu’étaient Réflexions basses, Strip, Urbanisme ou Vitrine pour ne citer qu’eux.
Au niveau de la production, Vald a de nouveau fait confiance à Seezy, qui signe la quasi-totalité de la tracklist. Si l’alchimie était remarquable sur XEU, elle est ici sérieusement remise en question. Les productions sont basiques, prévisibles, peu marquantes, et donnent l’impression d’avoir été bâclées. Le niveau de finition est tout juste du niveau d’une mixtape, mais certainement pas d’un album.
Le plus surprenant peut-être est également l’absence de bangers indiscutables. Sur XEU, Vald avait voulu gommer les défauts d’Agartha en jouant sur la replay value, en proposant avec son équipe des titres à fort potentiel de diffusion radio.
Comment, avec la même équipe artistique, peut-il nous présenter un projet avec aussi peu de morceaux marquants, de hits en devenir ? Je ne suis clairement pas fan de Désaccordé et de Ma meilleure amie, mais ces morceaux ont au moins eu le mérite de faire découvrir Vald à un large public.
Ce Monde est Cruel déçoit également par son manque d’identité propre. Les précédents albums de Vald avaient certainement leurs défauts, mais ils portaient tous en eux une empreinte très forte, une véritable âme sonore estampillée Vald ©. Ici, le rappeur aulnaysien rentre dans le rang : il innove moins, ne prend que peu de risques, et s’inspire largement de ce qui se fait déjà dans le paysage du rap francophone actuel. On retrouve ainsi un flow à la Niska sur Ignorant, des utilisations de l’autotune à la Columbine sur Keskivonfer, des progressions vues et revues qui frisent la caricature sur des morceaux comme ASB, dont l’intro fait d’ailleurs étonnamment penser à Menteur Menteur de Nekfeu sorti un peu plus tôt dans l’année…
C’est d’autant plus dommage qu’une grande partie du succès de Vald provient de son côté loufoque et provocateur, de son statut d’ovni du rap français, imprévisible et difficile à saisir. Cet album lui fait perdre de son aura, de son charisme, bref, de ce qui le rendait unique et fascinant à nos yeux et oreilles.
Ce Monde est cruel pourrait marquer la fin d’un cycle. En manque d’inspiration, le jeune rappeur d’Aulnay-sous-bois aurait probablement tout intérêt à chercher un second souffle en changeant d’équipe et d’influences. Car malgré quelque rares morceaux de bonne facture et quelques guests de qualité (Suik’on Blaz, balance l’album bordel), on s’ennuie ferme. Vald n’en est qu’au début de sa carrière, et aura l’occasion de rebondir.
La vraie question maintenant est de savoir s’il saura se renouveler, ou s’il préfèrera se reposer sur ses lauriers en se contentant de s’auto-parodier et de proposer la même soupe à chaque album.
- En quelques mots : La fin d’un cycle
- Coups de cœur : NQNTMQMQMB, No Friends
- Coups de mou : Pensionman, Halloween
- Coups de pute : Ce monde est cruel, Ma star, Keskivonfer, J’pourrai
- Note finale : 4