Son compatriote Giuseppe Tartini (1692-1770) l’appelait « Il furibondo Geminiani » qu’il serait sans doute trop simple de traduire par « Le furieux Geminiani ». D’après ce qu’on en sait et les témoignages d’époque, Francesco Geminiani (1687-1762) était surtout incontrôlable parce qu’il ne faisait rien comme tout le monde. Musicien (instrumentiste et compositeur), il se montra difficilement canalisable, pas même apte à diriger un orchestre. Violoniste, il se montrait si impétueux qu’il ne put jamais s’intégrer durablement à une formation. L’écrivain John Hawkins (1719-1789), auteur d’un important ouvrage de musicologie, émit à son propos le jugement suivant « ses compositions, élégantes et ornées, ne refermaient aucune trace du génie considérable qu’exigeait la musique dramatique ; il ne fit pas non plus le moindre effort pour montrer qu’il savait associer la musique à la poésie ou traduire des sentiments par des sons. » Notons ce « exigeait » qui laisse entendre qu’on attendait quelque chose de précis d’un compositeur à l’époque (le baroque) et que Geminiani ne se conforma pas à la norme en vigueur. Arrivé en Angleterre en 1714 (en même temps que son compatriote Veracini), Geminiani dut s’accommoder de la position dominante de Georg Friedrich Haendel (1695-1759) compositeur des célèbres Water music ainsi que Le Messie et une sarabande bien connue des cinéphiles (dans la BO de Barry Lyndon), ainsi que de la flatteuse réputation acquise par Arcangello Corelli (1653-1713), un autre de ses compatriotes. Obstiné, Geminiani poursuivit son exploration musicale, avec sa personnalité et donc son originalité. Globalement, sa production reste limitée : un unique opéra et des pièces pour cordes.


Cet opus 5 est constitué d’un ensemble de 6 sonates pour violoncelle. Il faut entendre par là qu’elles comportent une partie pour le violoncelle (interprétée ici par Anthony Pleeth), une autre pour un violoncelle de basse continue (Richard Webb) et enfin une partie pour le clavecin (Christopher Hogwood). Remarque au passage, ce groupe de 6 œuvres (première publication à Paris en 1746), constituant un numéro d’opus rappelle (furieusement), la méthode qu’emploiera Joseph Haydn (1732-1809), un quart de siècle plus tard (son opus 9 date de 1769-1770), pour ses productions de quatuors à cordes. Un rapprochement qui amène à dire que ces sonates de Geminiani forment un ensemble aussi cohérent que chaque numéro d’opus des quatuors de Haydn, une comparaison très estimable quand on connaît la qualité des quatuors de Joseph Haydn (un ensemble monumental).


Ne surtout pas confondre avec un jugement hâtif (première écoute), affirmant que ces sonates sont toutes identiques. Non, chacune ses caractéristiques qu’on apprécie au fil des écoutes successives. L’unité de l’ensemble vient de leur forme, chacune en 4 mouvements, le premier étant une exposition courte et plutôt lente, le second beaucoup plus vif, le troisième à nouveau lent et court, le dernier nettement plus vif à son tour. Les thèmes musicaux sont nombreux et très variés, avec des mélodies souvent très entrainantes. La partie pour violoncelle basse reste toujours discrète mais remplit son office. La partie pour clavecin rappelle l’époque de composition tout en sonnant très agréablement et le violoncelle apporte une sonorité vraiment inimitable, nettement moins dans les aigus qu’un violon, mais très allègre et incroyablement chantante. La technique d’Anthony Pleeth fait ici merveille et permet de pleinement apprécier l’inspiration du compositeur pour explorer une forme qui lui convient bien.


A noter que ces sonates ont plu au point que, face à la demande, Geminiani en a réalisé une transcription pour le violon. D’autre part, ces sonates ont fait l’objet de plusieurs enregistrements (disponibilité à vérifier). Notre époque est peut-être davantage portée à la reconnaissance des talents inclassables. Ajoutons pour conclure que cet enregistrement bénéficie d’une interprétation vraiment séduisante ainsi que d’une prise de son irréprochable.

Electron
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le 18 oct. 2019

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