Diamant de dément ! Bowie retrouve son démon....

Merveille des archives....En novembre 1996, David Bowie se trouve alors à New York en pleines répétitions pour le concert qu'il doit donner au Madison Square Garden le 9 janvier de l'année suivante pour célébrer ses cinquante ans. Il enregistre neuf chansons pour une émission de BBC Radio One * dont la diffusion est prévue également pour son prochain anniversaire. Véritable diamant taillé à l'épure de l'acoustique, la performance se révèle caressante et chaleureuse, très différente des albums Outside et Earthling élaborés et tonitruants. Accompagné simplement par Reeves Gabrels à la guitare, Gail Ann Dorsey à la basse et Mark Plati aux claviers, Bowie chante avec une intensité et une justesse qui charment dès la première écoute. La qualité exceptionnelle de la captation restitue à merveille cette session si précieuse et tellement délicate, décuplant à l'évidence une impression d'intimité rarement égalée dans sa discographie.

Véritable collector apprécié par les fans, la performance de toute beauté circula en bootleg avant une sortie officielle à titre posthume en 2020. En effet, à l'occasion du Record Store Day, Parlophone sortit l'enregistrement sous le titre de ChangesNowBowie en référence aux compilations ChangesOneBowie (1976) et ChangesTwoBowie (1981). Pour la pochette, un sobre portrait pris par Albert Watson montre un Bowie bien pensif. Si la sortie des rares formats cd et vinyle - satanée habitude de restreindre l'objet du désir pour faire monter les enchères, ce supplice masochiste des collectionneurs - est retardée par la pandémie de Covid-19, l'album est disponible en streaming le jour même de sa parution initialement prévue. Un trésor enfin disponible au plus grand nombre. Il était temps...

Depuis la reprise unplugged de Nirvana en 1993, Bowie tient à rappeler qui est le patron avec The Man Who Sold The World. La guitare ouvre sur une caresse quand la voix de Bowie se pose en douceur avant de se mêler au chant de Gail Ann Dorsey pour finir crescendo sur un final obsédant. Aladdin Sane...on se demande sur le papier comment faire plus percutant que la version originelle de l'album de 1973, ce tourbillon rock cabaret au solo de piano démentiel. Sur cette version très cool, Gail Ann Dorsey accompagne encore la voix de Bowie au chant et à la basse sur quelques touches de piano. Une reprise de White Light/White Heat du Velvet Underground met de l'électricité dans l'air avec une basse épaisse et constante sur une guitare solo déformée. Très planant, Shopping For Girls a le mérite de s'extirper du bruyant Tin Machine et réussit à tenir la comparaison avec le reste du set, mais les titres suivants donnent envie de passer rapidement aux autres pistes !

Sur un battement de batterie lent et régulier, Bowie chante Lady Stardust tout en finesse. La voix et la basse de Gail Ann Dorsey sont encore au rendez-vous de cette quasi résurrection de ce revenant de Ziggy Stardust. Quant à la chanson The Supermen, elle est jouée en acoustique pure. On a l'impression vertigineuse de retrouver une démo de 1971...Sur Repetition, la voix de Bowie se fait beaucoup plus caressante que la version impassible de Lodger. La guitare solo légèrement déformée restitue habilement l'aspect déphasé de la version originelle. Ultime coup de grâce, Bowie sort deux merveilles du raffiné Hunky Dory : Andy Warhol finit de nous achever avec Gail Ann Dorsey sur des cordes virtuoses puis Bowie porte Quicksand tout en en douceur et intensité. Encore une fois, la qualité de la captation donne une vibration très intense, de quoi rester tout bonnement charmé. Incontestablement un point culminant de cet album qui touche la corde sensible avec grâce. On frémit à l'idée que d'autres trésors semblables puissent sommeiller encore dans les archives des maisons de disques.

* Post scriptum : ces neuf chansons furent donc diffusées le 9 janvier à la BBC entrecoupées par des questions de la journaliste Mary Ann Hobbs et des souhaits d'anniversaire de ses pairs et acolytes, des célébrités telles que Damon Albarn, Bono et Robert Smith par exemple. Bowie s'exprima à l'occasion sur sa consommation de cigarettes (Il avoue fumer deux paquets par jour de Marlboro Lights pour préserver ses aigus...) ou ses déclarations sur sa bisexualité en 1972 ("J’aurais dû dire que j’étais “trysexuel”. Cela signifie qu’en matière de sexe, j’essaie tout", petite touche humouristique dont on voit mal en quoi cela aurait calmé les esprits chagrins de l'époque).

Le point d'orgue fut incontestablement l'intervention de Scott Walker, natif du 9 janvier (tiens donc...) : « Bonjour David, c’est Scott Walker. Je m’adresse à toi par l’intermédiaire d’un vieux magnétophone pourri, mais j’espère que ça ne te dérange pas. Je vais être diabolique aujourd’hui et ne pas te poser de questions. Je suis certain que parmi les nombreux messages que tu as reçus, il y en aura qui diront que tu as toujours embrassé la nouveauté et que tu as libéré tant d’artistes, et c’est bien sûr vrai. Comme tout le monde, je voudrais te remercier pour toutes ces années, et surtout pour ta générosité à l’égard des autres artistes, j’en ai été le bénéficiaire plus d’une fois, permets-moi de te le dire. Alors bon anniversaire ! Et au fait, le mien est le lendemain du tien, alors je t’offre un verre de l’autre côté de minuit. Qu’en penses-tu ? »

Après une courte pause et une forte inspiration, Bowie, visiblement surpris et très ému, répondit :

« C'est incroyable… Je vois Dieu par la fenêtre. Cela m'a vraiment touché, j'en ai peur. Je pense qu'il est probablement mon idole depuis que je suis enfant. C'est très émouvant. J'en veux une copie. Je suis absolument... Cela m'a vraiment bouleversé. Merci beaucoup."

Un moment véritable de sincérité chez un personnage obsédé du contrôle ("Dropped my cell phone down below. Ain't that just like me ?"). Ce perfectionniste, habile à se jouer des apparences et à porter tant de masques, baisse donc la garde devant son démon...C'est à se demander pourquoi ces deux artistes liés par une fascination réciproque n'ont jamais tenté de travailler ensemble.

Amaury-de-Lauzanne
10

Créée

le 7 janv. 2024

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