Chelsea Girl
7.4
Chelsea Girl

Album de Nico (1967)

Nico (Christa Päffgen de son vrai nom) est restée une énigme car elle a toujours joué avec sa propre histoire, inventant, mentant si elle estimait que c’était plus intéressant. De nombreuses légendes courent sur elle, de quoi en faire un film tiens, pourquoi pas ! Elle veut très vite devenir mannequin et y réussit vite : Paris, Londres, Rome où elle rencontre Federico Fellini qui l’embauche pour un rôle dans son film « La Dolce Vita ». Bon, sa carrière d’actrice va tourner court, ça ne l’intéresse pas vraiment. Son fils né en 1962 est censé avoir Alain Delon comme père, ce dernier ne l’a jamais reconnu. L’étape suivante, ce sont les États-Unis, en particulier New York où elle se retrouve plongée dans le monde de la Factory d’Andy Warhol, la participation à son film « Chelsea Girls » et la rencontre avec le Velvet Underground avec des relations compliquées avec Lou Reed. Le tout sur fond de beaucoup de drogues…C’est Warhol qui produit le 1er album du Velvet en mars 67 (la fameuse pochette à la banane) et qui impose plus ou moins Nico à Reed et Cale, avant qu’ils ne la virent une fois l’album enregistré, en avril. Ce qui lui laisse la possibilité d’enregistrer la musique qu’elle souhaite, de la musique folk pur jus, issue de Greenwich Village.

Elle invite son jeune amant de l’époque, un inconnu bourré de talent nommé Jackson Browne, à écrire pour elle et l’aider à enregistrer ce 1er album à la guitare. Il signe trois chansons, dont « The Fairest of the Seasons » et « These Days », les deux superbes ballades qui ouvrent l’album et lui confèrent sa tonalité dominante – celle d’un folk-rock aussi majestueux que mélancolique, à l'image de la pochette où on la voit belle et pensive. Si on devait trouver une saison correspondante à cet album, ce serait sans hésiter l’automne. Les autres membres du Velvet acceptent aussi de venir à la rescousse. Le producteur des sessions Tom Wilson rajoute des cordes, de la flûte, habille les chansons de sonorités plus chaudes que celles, épurées à l’extrême, que souhaitait Nico. Elle n’aimera jamais le résultat final, s’estimant trahie par Wilson et avouera n’avoir jamais pu écouter cet album. Et pourtant, il est évident que Wilson a donné une tonalité aux chansons qui en ont fait un chef d’œuvre, des arrangements luxuriants au parfum pastoral (Fairport Convention n’est pas loin). Le plus impressionnant, c’est que ce « Chelsea Girl » m’a fait penser à Nick Drake alors que ce dernier ne sortira son 1er album somptueux (dans l’indifférence générale) qu’en 1969 ! On est dans la même ambiance, le même univers poétique folk, c’est évident dans « Winter Song », j’ai pensé à un Nick Drake au féminin. Le titre de l’album fait référence au Chelsea Hotel, fameux repaire de la faune chic et choc, situé à Manhattan, dans le quartier de Chelsea. Quant à la grinçante ballade « Chelsea Girls », elle fait référence au film réalisé en 1966 par Andy Warhol, « Chelsea Girls ». Nico y expose sans fioritures l’histoire d’un monde interlope, des occupants instables et drogués de l’hôtel, des filles des deux sexes ou d’aucun.

Des quatre autres chansons, « It Was a Pleasure Then », longue de huit minutes, s’avère la plus dissonante et aventureuse, du folk mais presque orientalisant, faisant écho à « The Black Angel’s Death Song » sur l’album à la banane, un morceau extraordinaire. Chanson de Bob Dylan d’abord interprétée par la folkeuse Judy Collins et transcendée ici par le chant spectral de Nico, « I’ll Keep It with Mine » figure également sur l’album. La dixième et dernière chanson, écrite par Tim Hardin, « Eulogy to Lenny Bruce », est dédiée au trublion autodestructeur Lenny Bruce, mort d’overdose en 1966, dont Hardin était un ami et que Nico appréciait beaucoup. Le résultat est, quoi qu’en ait dit Nico, une véritable pièce maîtresse, à la beauté magique et intemporelle. Elle a décidé ensuite de ne plus dépendre des autres et d’écrire elle-même ses textes mais n’a plus jamais côtoyé cette perfection, s’enfonçant dans les addictions et ne sortant qu’une poignée d’albums. Elle est morte à 49 ans, en 1988 à Ibiza, d’une chute de vélo et nous laisse avec ses mystères.

JOE-ROBERTS
9
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le 18 janv. 2025

Critique lue 3 fois

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