Chromatica
6.1
Chromatica

Album de Lady Gaga (2020)

Le temps est venu de venir se regrouper et de faire le point sur la demi-décennie qui vient de s'écouler au sein de la carrière de Lady Gaga.

Pour résumer : rebond artistique après l'échec EDM ARTPOP en 2013, la chanteuse et sa nouvelle équipe cherchent à montrer qu'elle a du talent au grand public. Mais avec la grande méchante maison de disques Interscope, le budget est restreint, alors elle se focalisera sur le talent brut, sans fioritures. Elle retourne sur les prémices pop/rock de son avant-succès avec Mark Ronson et tous ses amis, pour aller sur un univers soft-pop-rock, plus minimaliste. Elle s'éclate beaucoup, joue les indies en rencontrant des gens comme Kevin Parker, Josh Homme, Father John Misty, Florence Welch, et elle dédie un album à sa tante morte. Le résultat divise les fans de par sa trajectoire inattendue et le manque soudain de folie qui la caractérisait par le passé.
Qu'importe : l'album est tout de même positivement salué par la critique, sa simplicité permet de revenir à un équilibre dans sa carrière, et elle étonne un nouveau public plus mature.

Dès lors, on entend plus vraiment parler d'elle quand même, car le registre qu'elle emprunte est moins en phase avec les goûts des ados et jeunes adultes, premiers fers de lance de son succès trouvé au fil des premières années.
Puis viennent en 2018 A Star Is Born et sa soundtrack rock, qui, cette fois appuyée par un film mondialement acclamé, lui permet de montrer que oui, Gaga ne fait pas que de la dance, c'est aussi une artiste piano-voix, et une bosseuse. Elle enchaînera les succès pendant deux ans.

Et on en est là aujourd'hui.

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En interview, Gaga dit clairement vouloir en venir à un album concentré sur l'essence de la dance. Un album fun, surprenant, mais fédérateur, et surtout positif à vivre vis-à-vis des souffrances des gens. À l'image de ses nouvelles aspirations humanitaires. Il fallait quelque chose de dansant. Le malheureux contexte de l'épidémie ne pouvait pas donner un meilleur prétexte à cet épisode musical pour être commercialisé.

Il est aussi un exutoire pour la dépression de la star de 34 ans. Elle cherche, à travers ce disque, à guérir de ses maux, danser, et à faire danser les gens autour "de nos douleurs communes" (je reprends à peu près ce qu'elle dit en interview). Elle veut seulement ça. Elle cherche pas à réinventer Hans Zimmer, elle veut pas succéder à Queen, elle veut faire un album pour danser. Un album qui s'apprécie dans l'instant.

Alors certes, coup de seau d'eau froide : la plupart des titres sont courts. La longueur ne fait pas la qualité me direz-vous. Mais quand on parle de dance-house, il nous vient directement l'idée d'un titre avec des boucles, très long, à hauteur de 6-7 minutes parfois, alors qu'ici la plupart des titres ont du mal à dépasser les 3:30. Donc on est toujours dans cette démarche un peu maladive chez Gaga de prendre au mot cette idée de faire de la pop, au sens le plus caricatural du terme, puisque trop accessible.


Ce qui fait un peu chier, c'est qu'on se retrouve dans une norme avec des albums entiers qui finissent par être des "radio edits", et tous les artistes grand public sont touchés par cette tendance, tiraillée entre la volonté d'instantanéité des auditeurs fans de Tik Tok, et très impatients avec les services de streamings. Mais comment insuffler cette impression de longueur ? Avec... des interludes distinctes, apparemment :

Chromatica débute orchestralement avec l'une des trois interludes de l'album (je reviendrai sur les interludes un peu plus loin parce que c'est intéressant), puis transitionne instantanément avec un Alice qui va droit au but : On retourne clairement à la dance. Mais jamais vous n'avez entendu Gaga sur cette branche. Et tous les gimmicks de la dance 90s sont ici présents pour vous réunis.
Donc : format pop imposé, voir donnant quelque chose d'un peu aseptisant pour l'auditeur, mais l'énergie est là.


Les titres s'enchaînent sans qu'on trouve le temps long, mais on a des envies de prolongements. On retrouve aussi souvent des structures avec des refrains instrumentaux. Mais ce qui choque, dans cette avalanche de rythmes, c'est cette impressionnante cohésion des morceaux. Jamais, chez Gaga, ça n'avait été aussi loin : La plupart de ses albums servent à boire et à manger, sous peine de parfois faire office de compilations, et franchement, ça fait du bien, parce qu'il y a là une direction artistique propre et assumée. On entend du Cassius, du Eiffel 65, ou La Bouche. Ces références reviennent beaucoup dans la bouche des fans et critiques.


Cette ambiance de fête, dans tout cela, laisse entendre des paroles souvent révélatrices de la dépression de la chanteuse. 911 sonne très période The Fame sur les couplets en grave et l'effet robotique. Elle fait du bien car les vibratos puissants se succèdent tout au long des chansons. Et ce petit tube succède à une seconde des trois interludes du disque, se révèlant être très malin et accrocheur. C'est un des morceaux qui se démarque le plus (et en bien) des 16 pistes, avec une production un peu robotique.

La collaboration avec le girls band de K-Pop BLACKPINK, Sour Candy, qui sort complètement de nulle part, s'intègre au final en douceur sans trop de difficulté dans ce répertoire. Gaga entame un phrasé presque glamour sur fond d'instru de défilé. Ça rappelle beaucoup Swish Swish de Katy Perry, qui est d'ailleurs un des seuls titres que j'aime vraiment de son cru. Pris à part, tout seul et hors de la ligne d'écoute de l'album, le titre est quand même plus insipide et on s'en fout un peu. Mais dans l'album, il a sa place.

Mention spéciale à la très disco et future funk Replay, samplant Diana Ross sur le refrain, qui a pour moi ce potentiel pour finir single.

Le clou du spectacle, Babylon, est à la fois mon plus gros coup de coeur, et ma plus grosse déception. Il entame une ambiance qui n'est pas sans rappeler Vogue de Madonna. Il donnerait envie à n'importe quel cis-hétéro poilu de marcher en talon sur un boulevard Parisien avec assurance. Le gospel et le saxophone sont de sortie pour ce final frustrant car très court, mais intense, chaud et ensoleillé, avec des images de Miami Vice plein la tête.

Pour finir, ces trois interludes que sont Chromatica I, II et III divisent l'album en actes, offrent une pause presque cinématographique, et permettent de souffler entre les pistes. Les interludes sont souvent utilisées chez Gaga au sein de ses concerts, mais jamais elle ne les a incorporé dans un projet musical, ce qui démontre quand même une volonté de vouloir mettre en place un réel scénario dans son disque.


Alors oui, les chansons sont courtes, ça fait diva, mais le projet en lui-même est musicalement solide. Des chansons forgées dans la douleur, pour un résultat entre le partage et le plaisir. On sent qu'elle et ses producteurs (Bloodpop, Tchami, Boys Noize et une longue liste interminable, comme si ils travaillaient sur un blockbuster) y ont pris du plaisir quand même, mais on regrette peut-être que ce projet ne se lâche pas un peu plus dans l'expérimentation. On devine la fin marketing, la présence de BLACKPINK pour pousser un peu les nouveaux auditeurs à venir ici, laissant un arrière-goût de cahier des charges qui vient perturber un peu la fête. L'album étant en lui-même bon dans sa démarche d'énergie par contamination (quitte à faire trop de bruit), je lui adresse une note honorable

Madrange-deluxe
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le 21 avr. 2023

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