Un vieux nègre aux traits fatigués, vouté, clope constamment scotchée aux lèvres, avec dans la tête des champs de coton à perte de vue, renaît de ses cendres.
La réputation de Junior Kimbrough n’est plus à faire, depuis que les plus grands ferrailleurs du rock ont fait leur comin’ out et l’ont désigné comme une de leurs références fondamentales, Stooges en tête.
L’excellent label de blues crassouille "Fat Possum Records" a tardivement signé le bonhomme et nous a offert un album hommage surprenant.
Mais qui mieux que les poilus Black Keys, enfants spirituels de Kimbrough, pouvaient incarner ce blues hypnotique et traînant ?
Je cherche, je cherche… Non, franchement je ne vois pas !
Même si "El Camino" tourne en boucle dans ma caisse, il n’a rien à voir avec l’âpreté des premiers albums des gars de l’Ohio.
Alors plutôt que de me pencher sur ce dernier opus franchement pop-rock, rodé pour les stades et trop bien léché du duo d’Akron, je reviens avec plaisir sur cet EP fantastique paru il y a…
Pffff… 7 ans.
Je veux parler de leur petite pépite déposée sur l’autel du défunt génie : "Chulahoma, The Songs Of Jr Kimbrough". Du blues rocailleux embourbé dans la chaleur humide du Sud.
Les B.K. partagent avec le maître une certaine conception du blues : elle est à peu près aussi éloignée de Clapton, Winter et consorts que Johnny Rotten l’est de David Gilmour.
Les Black Keys réussissent l’exploit de reproduire cette ambiance névrosée : une rythmique lourde et binaire, des riffs qui tournent en rond à s’en faire péter la cervelle, des paroles et des notes ressassées jusqu’à la fusion et qui prennent alors toute leur puissance. Ajoutez à ça le son gras typique du duo, et la formule est parfaite.
Ca vrombit de tous les côtés, la batterie se met à exploser ("Keep Your Hands Off Her" et "Have Mercy On Me", étouffant à souhait, avec son orgue tout au fond), puis une petite fenêtre s’ouvre sur la lumière du jour ("Meet Me In The City"), juste de quoi laisser passer un rayon et de repousser momentanément les ténèbres, avant de replonger dans la moiteur malsaine et saturée des guitares.
Un format court, six titres et un total de 27 minutes qui dévastent tout sur leur passage.
Un album discret qui sent la rouille, le mobil-home rance, le tabac froid et les fond de verres de bourbon. Un truc dément à rendre vaine toute conversation sur ce qu’est le blues.
Le vieux négro doit s’allumer une cigarette, le sourire aux lèvres. Il s’est éteint mais sa musique m’éclaire sur mon ignorance. The Black Keys ont la maitrise du style, ils en feront une signature.
Tout là-haut et où qu’ils soient d’ailleurs, bon nombre de bluesmen se retournent dans leurs tombes trahis par des branleurs de pentatonique qui aseptisent et passent à la blanchisseuse cette musique foncièrement noire.