Est-il vraiment possible d'écrire une critique de cet album ?
La musique est tellement texturée, la voix si pesante, le souffle de la troupette si palpable : je crois que cette musique est viscérale. Elle n'est pas construite par la raison, mais par la passion, la révolte, la rage.
Elle semble concrétiser un processus d'expression qui nait au plus profond de l'individu, du fait d'une voix intérieure écrasante, extériorisée par une mélodie cuivrée, le tout sur une base dépouillée à l'extrême, rampante, presque menaçante, comme un poids qu'on porterait depuis des générations. Ca tombe bien, Clameurs est une mise en musique de textes et poèmes sur l'esclavage, la haine, et le combat pour la dignité humaine. Des textes issus des œuvres de Frantz Fanon, de Antar et des poètes martiniquais Edouard Glissant et Monchoachi.
D'une densité et d'une intensité incroyables, entre noirceur extrême et lumière aveuglante, ces musiques de Jacques Coursil se penchent sur des heures sombres de l'histoire de l'humanité, sans moralisme, sans apitoiement, mais sans compromis. Ce disque provoque une émotion rare, qui nécessite du temps et de l'attention, mais il sait récompenser son auditoire en lui donnant l'impression de s'être libéré de certains de ses démons. On en ressort en se sentant un peu étrange, entre apaisement et indignation, mais sûr de la puissance de la musique.