Closer
8
Closer

Album de Joy Division (1980)

“La vie a une fin, le chagrin n'en a pas.” Baudelaire

Closer, dernier disque de Joy Division est certainement le disque le plus abouti du groupe mais aussi le moins facile d'accès. Le groupe qui avait déjà amené les influences punk à un niveau supérieur avec Unknown Pleasures, s'inscrit cette fois avec cet album dans une perspective encore plus froide grâce notamment aux synthétiseurs (sans doute l'un des plus belles utilisations des synthétiseurs pour un album des années 80)


Si vous n'avez pas aimé Unknown Pleasures , ce n'est pas la peine, c'est plus froid encore et la voix de Ian devient fantomatique, à distance des autres et semble totalement éreintée.
Il faut pas mal de temps avant de s'approprier cet album. Je recommande (ou pas... à vos risques et périls) d'être psychologiquement dans cette ambiance désespérée pour mieux saisir l'album.


L'album a l'intelligence d'être à la fois constitué d'anciens morceaux de Joy Division écrits pendant l'année 79 (on pouvait en retrouver certains sur les Peel Sessions) qui sont centrés sur la guitare et la basse comme «Colony» ou «Twenty Four hours» et des nouveaux composés en 1980 beaucoup plus centrés sur l'utilisations du synthé comme «Heart & Soul» ou «Decades». Il n'y a pas une rupture brutale, l'utilisation du synthé est minutieuse. Le jeu de basse de Peter Hook et la guitare de Sumner font toujours mouche. Martin Hannett fait un travail remarquable complètement mortuaire.


Les paroles sont encore plus tristes, sombres qu'avant. Ian se concentre uniquement sur la mort, l'échec, la crise existentielle, la dépersonnalisation, la perte de contrôle, l'échec. Il n'y a plus d'espoir. Il n'y a plus de lutte, ce n'est plus un portrait urbain de Manchester comme dans l'album précédent mais le portrait de l'Humanité toute entière. Ian nous achève, l'amour n'est voué qu'à l'échec dans «Twenty Four Hours» , la naïveté de l'enfance est condamnée dans «The Eternal» même les spectateurs de l'époque de Joy Division ou l'auditeur connaisseur est condamné dans «Atrocity Exhibition», nous devenons les spectateurs morbides fascinés par les danses épileptiques de Ian, les complices de sa souffrance :



Asylums with doors open wide,
Where people had paid to see inside,
For entertainment they watch his body twist,
Behind his eyes he says, 'I still exist.'



La progression de l'album est parfaite, beaucoup plus travaillée que dans le précédent. La première face annonce déjà la couleur mais la seconde (à mes yeux la meilleure) est d'une noirceur et en même temps d'une puissance incroyable. Ian prend de la hauteur sur sa situation et celle de l'existence humaine et nous guide dans un profond nihilisme, un abîme.
Les réflexions philosophiques de «Heart & Soul» font froid dans le dos, tout cela sur un riff de guitare implacable (le dernier couplet est entré dans la légende), «Twenty Four Hours» et son angoisse, son urgence, la guitare donne de l'espoir mais il est trop tard, elle nous mène elle aussi dans l'abîme. «The Eternal», c'est la mort, on ne peut plus rien y faire, la mélodie au piano est d'une tristesse infinie.
Et enfin, l'album se conclue par l'apothéose, le meilleur de l'album à mes yeux : «Decades». On ne sait pas vraiment qui sont les jeunes hommes de la chanson mais qu'importe, c'est la métaphore de la souffrance humaine consciente d'elle-même, qui se regarde elle-même, d'où l'absurdité et le nihilisme incroyable de ce morceau. Le synthétiseur est parfait, le passage à partir de 4min35 me donne toujours des frissons, l'impression de voir sa vie défiler devant soi et de constater toute la souffrance traversée mais qu'en même temps cela est le lot de toute existence humaine. Puissant, c'est le mot.


Pour conclure, il y a quelque chose du spleen baudelairien dans cet album mélangé à du Kafka/Ballard dont Ian s'inspire largement, il y fait référence dans les paroles de «Colony» ou dans le titre de «Atrocity Exhibition».
Voilà pourquoi j'ai cité Baudelaire “La vie a une fin, le chagrin n'en a pas.” . Ian est mort, emportant avec lui son talent mais son chagrin, il nous le lègue à travers cet album et il l'a rendu universel et infini.

Axon
10
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le 3 août 2017

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