Colossal Youth est le seul LP de la discographie d'un groupe gallois charismatique qui s'est de toute évidence séparé bien trop vite. S'il n'a pas soulevé les foules lors de sa sortie son influence s'entend à la fois sur l'instrumentation de certains groupes post punk contemporains et sur des groupes de rock venus bien plus tard, désireux de recréer ambiance et tension à partir de compositions pareillement minimalistes. On peut même y trouver des similarités avec des groupes indie pop à succès tels Belle et Sebastien et The XX. De loin, Colossal Youth a tout de l'album culte gentiment surestimé par les mélomanes et remis au goût du jour par l'admiration de Kurt Cobain a son égard, plus apprécié pour son importance historique et son influence que pour ses réelles qualités intrinsèques.
C'est en tout cas à peu près l'idée que je m'en étais fait il y a 3 ans, et l'album fut relégué parmi les nombreux disques cultes en attente d'une écoute sérieuse et d'un avis plus sûr. Pour le coup, joie et soulagement – toujours frustrant de passer à côté d'une œuvre très appréciée.

Bon après je me comprends un peu car à l'époque j'étais surtout intéressé par les mélodies et les textures et sur ce point là Colossal Youth est une bonne douche froide. Car oui l'album n'est pas seulement austère dans sa constitution instrumentale mais aussi dans le jeu : basse tendue – au mieux, groovy – , guitare en mode downpicking étouffé ou distributrice de riffs intransigeants. Et ne comptez pas sur Alison Statton pour chercher des harmonies ou des hook vocaux façon pop commerciale. Non non elle chante les trois quarts de l'album d'une voix fluette et détachée comme si elle n'était pas sûre de pouvoir (vouloir ?) se prendre au sérieux. Wurlitzer Jukebox (cf plus bas) est une des rares exceptions à ces règles et ressort comme un des meilleurs morceaux. Ah et il y a bien sûr l'orgue. Comment l'oublier celui là ! C'est vraiment un de mes instruments préférés et sa performance sur la piste éponyme est déroutante, à la fois cucul et mécanique tellement que ça en devient magique. Sur NITA en revanche il se languit et aide la chanteuse a poser son chant, chercher ces harmonies : un des titres les plus immédiats. Ils lui préfèrent parfois un synthé du pauvre qui fait un peu pitié – mais dur de cracher dessus dans le contexte ! Quant aux mélodies vocales c'est à mon avis le point faible du groupe (Searching For Mr Right plante le décor) mais en quelque sorte il n'en a pas besoin ; l'intérêt est ailleurs et Alison est une charmante vocaliste dans tous les cas.

Comme pour pas mal de groupes des années 80, les quelques faiblesses d'écriture sont compensées par une atmosphère qui renforce et unit le disque. Ici pas de doute, comme l'indiquent un des titres et la pochette c'est une musique nocturne, voire sombre mais sans forcer. Une des meilleures que le rock ait produit. Elle oscille entre un intimiste charmant et un isolement dérangeant, en partie parce que des mélodies sont invitantes et d'autres distantes.
Cela dit on a vu atmosphère plus dense et le disque supporte mal la distraction et la relégation en musique d'ambiance si vous n'y êtes pas familiers. Sa plus grande force est la section rythmique qui brille sans discontinuité, porte les morceaux avec un sens rythmique qui parvient à combler l'absence d'un batteur. Ça commence avec basse de Searching for Mr Right, puis le riff de Include Me Out. On enchaîne avec The Taxi : la propulsion de la boite à rythme (dinosaure celle là) que la mélodie sinueuse au synthé, pleine de ressources, essaie de dominer dans un duel à mort – qu'elle perd. Grandiose, et dégageant une anxiété urbaine inapaisable. C'est pas fini, dans la chanson suivante la superposition entre la rythmique inquiétante et le chant nonchalant crée une ambiance à partir de tellement peu. Stupéfiant. Bref vous avez compris l'idée, une démonstration sans fin, la basse étant souvent la star du show.
Mais attention à vos joues il y a un moment où tout est parfait dans cet album, c'est dans l'avant dernière piste Brand-New-Life ; un riff brillant ça en devient presque banal, et entendre ensuite Alison chanter une mélodie et un texte dignes des plus grands après tant de prouesses foutrait presque les larmes aux yeux...

Pour finir, on note directement que seuls 2 morceaux dépassent vraiment la barre des 3 minutes, le groupe ayant la présence d'esprit de reconnaître qu'il mise plus sur un motif ou une ambiance et donc de refuser le surplace sur un format pop usuel. Ainsi le seul morceau que je trouve moyen (The Man Amplifier) est tellement court qu'il entache à peine l'expérience. En revanche, même si c'est sûrement un bon choix on aurait aimé des compositions plus ambitieuses, quelque chose de progressif qui puisse atteindre l'équilibre jouissif de certaines chansons de Crazy Rhythms des Feelies. Et si l'ensemble est extrêmement cohérent (peut être trop, une explosion quelque part n'aurait pas été de refus), je n'ai pas retrouvé la fluidité de la plupart des grands albums : on a parfois un peu la sensation d'avoir appuyé sur replay durant les transitions (la comparaison qui me vient en tête est un peu ridicule mais c'est comme si on devait remonter en haut du toboggan à chaque fois..!)

Mais bon inutile de pinailler plus longtemps pour justifier ma note car il est clair que Colossal Youth est un grand album, difficilement dépassable dans son esthétique humble et exigeante. Esthétique et formule qui peut ne pas satisfaire tout le monde pour sûr mais il est porté par sa rythmique intouchable, gravée dans le marbre. Si ce colosse a une faiblesse, ce ne sont pas ses pieds d'argiles...

http://www.youtube.com/watch?v=8xob9tLR18s
Zephir
8
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le 5 oct. 2013

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