Cool It Down
6.9
Cool It Down

Album de Yeah Yeah Yeahs (2022)

De retour sur scène depuis 2017, le groupe de Karen O a enfin décidé de réinvestir le studio. Avec Cool It Down, nouvelle livraison synthétique à plus d'un titre, le trio new-yorkais se refuse tout regard en arrière et roule sur la nostalgie comme un tank sans rétroviseurs.

Quand on aime, dit le proverbe, on ne compte pas. Sauf quand il s'agit de sorties musicales. Nul besoin de calculatrice pour constater que presque vingt ans ont passé depuis Fever To Tell, prometteuse petite météorite art-punk à facettes, riche du minerai étincelant dont on fait de belles carrières, et où les guitares stoogiennes se raidissaient sous une cravache new wave maniée avec charisme par Karen O. La brune à frange Ramonesque était rapidement devenue l’une des deux frontwomen rock essentielles de la décennie aux côtés d’Alison Mosshart. Or, si la chanteuse des Kills et du Dead Weather s’est montrée d’une grande parcimonie dans ses rares excursions en solo, Karen n’a jamais caché ses ambitions en la matière. Dès 2009, elle signait la BO du Max et les Maximonstres de Spike Jonze. Mais aussi pléthore de singles et collaborations en tout genre. Avec David Lynch, avec Adidas, avec Trent Reznor (dynamitant Immigrant Song pour David Fincher) et avec Kenzo (l’excellent Yo! My Saint, à la vidéo réalisée par Ana Lily Amirpour).

Pourtant, tout ne fut pas immédiatement gagné pour les trois new-yorkais. Après l'enthousiasme suscité par le premier album, Karen, Brian Chase (batterie) et Nick Zinner (guitare, claviers) étaient attendus au tournant d’une route où se faisait sentir un fumet de goudron et de plumes. Le deuxième opus, Show Your Bones, semblait justement refuser de céder aux sirènes de la pop calibrée en suivant celles d’un rock qui ne l’était pas moins, étouffant momentanément l’élan d’un groupe qu’on devinait désireux d’aller de l’avant tout schuss. Ce fut finalement chose faite en 2009 avec It’s Blitz, célébré encore à ce jour comme un succès commercial et critique, où le trio irriguait son rock anguleux de disco pailleté et de pop synthétique. Porté par un tiercé gagnant de singles imparables (Head Will Roll, Skeletons et l’irrésistible Zero), l’album dansait avec une fluidité sensuelle sur un pic d’équilibre entre ancien et moderne, humain et robotique, rock et pop, disco et punk pour concrétiser tout le potentiel contenu dans ses prédécesseurs. L’effet de surprise moins prégnant de Mosquito en 2013 lui valut quelques détracteurs, sans empêcher les années de lui faire gagner en cachet. Il suffit de réécouter l’introduction de Sacrilege pour constater qu’aucun autre groupe n’a sonné ainsi depuis la mise en hiatus studio des New-Yorkais.

Le retour se devait donc de claquer quelques beignets. Et Yeah Yeah Yeahs semblaient en être conscients. Spitting Off the Edge of the World, single étendard déployé avec le concours de Perfume Genius, arborait déjà d’ambitieuses couleurs. Et pas uniquement celles de son excellente vidéo. En s'affichant en compagnie de l’un des artistes les plus exigeants des dix dernières années, Yeah Yeah Yeahs faisaient une fois de plus montre d’un goût très sûr dans leur positionnement. Le refrain est gigantesque, les voix de Michael et Karen forment un excellent duo et les nappes de claviers sont absolument glorieuses. Burning ramenait le propos sur un terrain plus anciennement conquis, avec son refrain digne du meilleur de It’s Blitz, sandwiché entre un piano dansant et des cordes disco du plus bel effet. Mais justement, le gros des chansons de Cool It Down n'en reste pas là. Lovebomb est une méditation synthétique et sensuelle tout droit sortie de Twin Peaks où les claviers brillent de mille feux, sans pour autant parvenir à faire la moindre ombre à la voix de Karen, qui chante comme une cousine biker de Julee Cruise. Pas étonnant que le père Lynch ait bossé avec elle.

L’intro de Wolf, très Kate Bushesque (amusant quand on suppose que le titre a été mis en boite avant la réintroduction fracassante de Running Up That Hill via le bulldozer de Stranger Things), débouche sur un immense refrain synth-pop aux orchestrations baroques. Yeah Yeah Yeahs y trempent leurs orteils dans une piscine où on ne les avait pas encore croisés, pour finalement barbotter avec beaucoup d’assurance. Le groove hanté qui conduit l’ensemble devrait faire les grandes heures des prochains passages du groupe en festivals. Fleez couche les oreilles en chavirant de plus belle sur une batterie virile et une ligne de basse distordue à en faire bander Josh Homme. Les arrangements plus dépouillés permettent de retrouver un peu de la raideur post-punk des débuts du groupe, au milieu d’un album qui accorde très peu de place à cette nostalgie. Blacktop, chanson atmosphérique où les claviers prennent la place de la guitare et inversement,semble être faite pour être écoutée au casque… ou sur un énorme système son. Different Today est un autre groove dansant totalement irrésistible avec ses pluies de synthés multicolores, sa basse feutrée et ses arpèges à l’élégance minimaliste. Puis, Mars, poème posé sur deux minutes de beat synthétique minimaliste, et c’est déjà fini.

Verdict ? Un sentiment de pilotage automatique dans ce que cela pourrait représenter de plus positif. L’impression d’un groupe dont les chansons adviendraient le plus naturellement du monde, sans pour autant qu’on puisse vraiment accuser Yeah Yeah Yeahs de se reposer sur leurs lauriers ou de se répéter. Cool It Down est compact, ramassé, svelte, et potentiellement mal aimable par sa volonté constante de garder les guitares à distance. On pourrait certes lui reprocher d’être avare sur sa substance (huit chansons et demie pour moins de trente-trois minutes d’écoute), mais la tenue dans ce qui nous est offert est indéniablement d’une grande solidité. Saluons la qualité de ce nouvel album, sans s'interdire de croiser les doigts pour un peu plus de quantité à l’avenir.

OrpheusJay
7
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le 15 oct. 2022

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