Les fans d'artistes Pop sur internet sont insupportables car on ne reconnaitra jamais suffisamment le génie de leur chouchou et en même temps ils sont amusants car ils voient n'importe quelle référence bien sentie comme une révolution culturelle.
Beyoncé s'attaque à la Country avec Cowboy Carter sans jamais oublier que c'est SON album, malgré les références nombreuses au passé et aux fondamentaux du genre. L'idée est de questionner tout cela : Beyoncé a-t-elle le droit de faire de la Country si elle en a envie et peut-elle le faire ? Oui. Peut-elle reprendre une chanson des Beatles qui évoque la ségrégation ? Bien sûr. Alors elle le fait, et elle se débrouille bien.
Je ne suis pas fan de Beyoncé mais je dois reconnaître qu'à l'exception de son horrible album en collaboration avec son mari, sa discographie est un sans faute depuis son album éponyme. Elle est passée de l'artiste Pop/RnB incontournable qui fait des tubes à la reine des charts qui fait des albums conçus pour être écoutés d'une traite alors que le format n'est pas en grande forme avec toutes les mutations de l'industrie. Ainsi, et même si j'aime moins Renaissance, je trouve qu'elle sort de bons disques depuis un moment avec - hélas - des mélodies peu mémorables. Je passe un bon voire un très bon moment lorsque je les découvre, et je les oublie ensuite. C'est le cas pour Lemonade par exemple, auquel je n'ai foncièrement rien à reprocher, mais mon cerveau est passé à autre chose depuis un moment.
Si Cowboy Carter pourrait connaître le même sort et seul le temps me le dira, j'ai trouvé l'expérience assez ludique. C'est blindé d'harmonies réussies, les références assez grosses à la musique Country qui parleront à peu près à tout le monde, même sans qu'on s'y connaisse, et c'est très cohérent dans sa démarche. En effet, cette petite escale vers un autre genre musical ne ressemble pas à un délire qui ne lui correspondrait pas. Fondamentalement, si on prend les singles sortis le lendemain des Grammy Awards et qu'on garde juste l'A Cappella, on se dit que ça aurait pu être des tubes de Beyoncé d'il y a quelques années si on avait décidé de les poser sur des productions typées RnB.
C'est ce qui m'a plu avec l'album. Elle s'amuse et prend quand même très au sérieux ce qu'elle raconte en nous faisant l'historique d'un genre que les blancs conservateurs se sont appropriés aux États-Unis sans en faire une caricature, de la soupe (coucou le premier album de Taylor Swift) ou quelque chose d'impersonnel. Alors quand on est plus dans l'hommage à Tina Turner avec Tyrant ou qu'on s'éloigne bien de l'esprit de la Country avec Ya Ya et Spaghettii pour faire du pur Beyoncé "actuel", ça donne beaucoup de fraicheur au disque et permet d'en faire quelque chose d'unique dans le paysage musical Pop actuel.
Par exemple, la reprise de Blackbird des Beatles n'est pas très aventureuse. La seule nouveauté, ce sont les harmonies vocales et quelques violons, en dehors de ça c'est très fidèle à l'originale. Toutefois, c'est logique dans le contexte de l'album, ça fait sens. Il faut revenir aux sources en racontant cette histoire. Ce sera le seul moyen d'avancer, et pour cela il ne faut pas tordre les codes et respecter ce matériau-là.
L'adaptation de Jolene de Dolly Parton (qui valide l'album puisqu'elle y fait quelques apparitions) marche bien aussi. Autre adoubement à l'horizon : le légendaire Willie Nelson. Si on peut trouver ça légitimement trop calculé ou forcé, d'intégrer des icônes d'un genre à son disque pour être crédible dans le milieu, je trouve que musicalement ça le fait.
Je suis incapable de dire comment on considèrera Cowboy Carter dans quelques années car tout va trop vite de nos jours, mais je pense et j'espère que dans la discographie de Beyoncé, il sera considéré comme un défi plutôt bien relevé et dans tous les cas passionnant.