Le rap français a toujours eu du mal à faire une sérieuse concurrence au rap américain. Nos amis outre-Atlantique ont toujours eu de gros avantages, notamment leur langue, bien plus facile à placer sur un beat. Le français est bien pratique pour écrire des textes riches et complexes, mais quand il s’agit de développer un flow fluide et constant, c’est une autre histoire. A vrai dire, je pense que peu de MCs français ont réussi à s’approprier la langue pour avoir un flow aussi bon que les américains. Le rappeur dont je vais parler ici en fait partie. Kool Shen a très certainement un des meilleurs flow du rap français. Il fait jeu égal avec des artistes comme Akhenaton ou Casey. Pour tout vous dire, je suis un grand fan de Kool Shen et, par extension, de NTM. J’ai énormément de respect pour ce type talentueux et charismatique…et c’est pour ça que j’ai hésité un moment avant d’écrire quelque chose sur cet album. Je ne dirais pas qu’il m’a déçu. Non il m’a plutôt laissé dubitatif.
Crise de Conscience souffle un peu le chaud et le froid. J’ai d’abord été scandalisé par la médiocrité du morceau « J’Reviens », qui est le premier que j’ai écouté. Mais quelques minutes plus tard, voilà que j’écoute « Vivre dans l’Urgence » et là je me fais plaisir. Kool Shen se fait vieux (enfin pour un rappeur) et se livre un peu plus qu’à l’accoutumée. Je retrouve donc confiance en l’album et décide d’aller l’écouter en entier. J’en suis sortis satisfait, mais j’avais quand même l’impression que quelque chose ne tournait pas rond. La qualité est pourtant bien là, les textes sont bons, même si un peu moins inspirés que dans Dernier Round, les prods intéressantes, les sujets abordés prenants bien que classiques. En fait, le vrai problème de Crise de Conscience est que je n’y reconnais pas Kool Shen.
Je peux comprendre la démarche de Kool Shen pour cet album, qui porte d’ailleurs bien son nom. Crise de Conscience, c’est l’heure du bilan. Kool Shen ouvre les yeux, après avoir kiffé dans la musique et s’être un peu endormis en jouant au poker, il se retrouve en 2009, seul, face à une feuille blanche, le stylo à la main, avec l’envie de refaire du skeud. Petit problème, l’homme a pris des rides et le poids de l’âge commence à peser sur ses épaules de footballer manqué. L’écriture n’est pas chose aisée, elle place l’artiste face à lui-même. Il regarde ce qu’il a accompli, ce qu’il est devenu, ce qu’il aurait voulu faire, ce qu’il lui reste à faire… Facile de craquer dans un moment pareil. Heureusement, l’écriture génère un exutoire qui permet à le pression de redescendre, l’artiste peut expulser ses émotions dans sa musique. De ce fait, un album est toujours à l’image de l’artiste et plus particulièrement de son humeur au moment de l’écriture.
Or, j’ai bien l’impression que Kool Shen était au bout de sa vie au moment de la confection de Crise de Conscience ! Le mot d’ordre de cet album est la fatalité. Je crois que c’est l’album le plus triste que j’ai pu écouter jusque là. Mis à part quelques morceaux tels que l’excellent « Salope.com », ou des tentatives désespérées de faire un tube comme « C’est Bouillant » ou « J’Reviens », tout transpire le désespoir. A l’époque de NTM, ou même de Dernier Round, Kool Shen n’hésitait pas à véhiculer des messages positifs à travers sa musique. Le morceau « Un Ange Dans le Ciel », dans lequel le rappeur rendait hommage à Lady V, avec qui il a partagé sa vie pendant 12 ans, décédée dans un accident de voiture, exprimait aussi l’envie de continuer, d’aller de l’avant malgré le manque que sa disparition a laissé. Rien de tout ça dans Crise de Conscience. Le morceau « Mauvaise École » en est la parfaite illustration : « Tu viens de la mauvaise école, t’auras que des mauvais diplômes ». Point. Pas d’espoir, pas d’appel à la lutte, pas de relativisation. Kool Shen nous dépeint une vision figée de la société dont le déclin a atteint le point de non-retour. Le morceau « Grandeur est Décadence » en dit long…
Mais le vrai problème, ce n’est pas tellement que Kool Shen fasse des morceaux pessimistes. On peut le comprendre : il a passé une bonne partie de sa vie à adopter une posture de révolté, a écrit des textes dans le but de faire bouger un peu les consciences et tout ça pour rien. Même si le rap c’est avant tout une affaire de musique, l’aspect contre-pouvoir symbolique a toujours fait partie de l’esthétique NTM, malgré des phrases comme « prends ton gent-ar et fais ta vie ». Il a vécu en décalage avec la société et maintenant qu’il y est intégré, son état d’esprit n’a pas changé et la société continue de se dégrader. Dur. Mais je lui reproche de ne pas avoir cherché à écrire des choses plus positives. Cet album m’a mis mal à l’aise dans la mesure où je ne pensais pas Kool Shen capable d’une telle noirceur. Du coup, je ne sais toujours pas si l’album est moyen ou si c’est moi qui n’ait pas su l’écouter correctement. En tout cas, je trouve dommage d’avoir fait le choix de tirer la sonnette d’alarme sans avoir véhiculé en parallèle de message d’espoir. Même les prods sont au bord du suicide bordel ! Je ne demande pas de la funk comme en 1993, mais quand même c’est piano sur piano et à la longue ça devient déprimant !
Bon après, je ne fais qu’exprimer mon désarroi, objectivement cet album est bon. Le flow de Kool Shen a changé, il a l’air un peu fatigué mais cela lui donne un charme inattendu. Globalement, c’est du haut niveau, mais dieu que c’est pas marrant ! Je n’espère qu’une chose désormais : que son prochain album correspondra à ce qu’on attend de Kool Shen, c’est-à-dire de la qualité mais aussi un esprit empreint de l’esthétique du Suprême Nikoumouk. Après, c’est à l’artiste de décider, il peut suivre la route qu’il s’est tracé ou bien en dévier.