Une pochette sobre, sombre, une vieille maison terne, une silhouette toute de noir vêtue qui nous présente son dos, comme un air de deuil. Un titre qui tombe ; Dark Bird Is Home. Lequel, le corbeau annonciateur de malheur, oiseau funeste ? S'il est à la maison, serait-ce l'indice d'un retour au sources du Tallest Man, qui aurait retrouvé son style des débuts ? À mesure que sont dévoilés, au compte-goutte, les informations sur le dernier Tallest Man On Earth, ce genre d'interprétations sauvages peuvent nous passer par le crâne (elles ont en tout cas traversé le mien) tandis que s'élabore notre fantasme. Et bien à ce stade du l'année, je décerne à Dark Bird Is Home le prix de l'emballage trompeur 2015. La folk du Suédois n'aura jamais été aussi baignée de lumière, et plutôt qu'un retour aux sources c'est pour lui un nouveau pas vers la sophistication. Seulement cette lumière semble n'être que celle, factice, des projecteurs, et la nouvelle " richesse " des arrangements est à mille lieues de rendre service aux nouvelles compositions de Kristian Matsson.
Il faut dire que There's No Leaving Now en 2012 avait déjà vu Matsson s'éloigner de l'épure acoustique de ses débuts pour commencer à incorporer dans sa formule des arrangements piano, guitare, batterie, etc. L'initiative m'avait fait hausser un sourcil circonspect, car par moment la belle gratte acoustique du bonhomme passait complètement à la trappe tandis que la voix était toujours aussi présente dans le mix (voire trop) jusqu'à en éclipser tout le reste. Mais là les choses sont passées à un tout autre niveau. Cette fois-ci, c'est une ribambelle d'arrangements en pagaille qui nous déboule sur la tronche dès l'ouverture "Fields Of Our Home". Violons, cuivres, synthés, pianos, percussions, overdub vocaux, beats... Tout y est. Cette fois c'est définitif : le Tallest Man On Earth sonne comme n'importe quel chanteur variétoche à la mode sans personnalité. Je sais que je joue le puriste sur ce coup là, mais comme c'est désolant d'entendre Kristian nous délivrer une tambouille sonore aussi fade ! Tout ce qui faisait son charme rustique est passé à la trappe, ça n'est d'ailleurs plus vraiment du folk. Mais il ne s'agit pas uniquement d'un cachet d'authenticité ou je ne sais quoi d'autre – si ce n'était que ça, cela ne nécessiterait qu'un temps d'adaptation – mais vraiment de la gestion calamiteuse d'un certain parti pris esthétique. Je ne reproche pas au Tallest Man d'arranger ses morceaux ; je me désole de la piètre qualité de ces arrangements qu'il ne maîtrise de toute évidence pas du tout.
Tous ces ajouts semblent complètement hors de propos, collés là sans talent pour plomber un morceau qui ne demandait qu'une interprétation simple. Matsson brillait lorsqu'il était seul à sublimer ses compos dépouillées. Sur Dark Bird Is Home, l'accompagnement va du plan-plan au carrément vulgos – dans cette dernière catégorie, placez à l'aise la totalité des beats pourraves, les cuivres dégueux de "Timothy", et les hululements à la Phil Collins période Tarzan de "Sagres", entre autres. C'est d'autant plus dommage que le corps du disque n'est pas mauvais loin de là. Le Tallest Man on Earth demeure un bon songwriter capable de composer de beaux morceaux – en témoignent par exemple la balade "Little Nowhere Towns" et son simple piano/voix (on n'y croyait plus...) ou la première moitié du morceau-titre, seulement sa manière de les habiller a atteint un point qui commence à nuire à ma capacité de les apprécier comme tels. En somme Dark Bird Is Home aurait pu être un très bel album, si la ribambelle de musiciens de studios avait eu le bon goût de succomber à une intoxication alimentaire la veille de l'enregistrement. En attendant, si le titre du disque interprété littéralement laisse entendre une volonté de sédentarisation du Suédois dans cette voie, alors je risque de me mettre à bander mou ces prochaines années...
Chronique disponible sur XSilence : http://www.xsilence.net/disque-9459.htm