Crever le mur
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Il y a comme un malaise sur les années 1980. Cette décennie est à la fois détestée et adulée puisque schizophrénique. Détestée, parce qu’elle fut le reflet d’une économie au sommet mais au bord du précipice. Les années fric comme on les appelait, où le champagne coulait à flot et la musique la plus superficielle qui soit (Hard FM, variété ou encore synthpop) rencontrait un succès énorme. Mais elle est aussi adulée. Parce que pendant que les « yuppies » se remuaient les miches sur les tubes de Depeche Mode et New Order, il y avait ceux qui galéraient dans leur vie de tous les jours tout en essayant d’enregistrer leurs chansons.
Le post-punk fut un courant aux idées sombres et dont la détresse était l’exact opposé du mainstream d’antan. C’est sur ce style que va se bâtir le rock indépendant. Une appellation fourre-tout qui ne désigne rien de précis musicalement, mais qui évoque plus l’idée d’une mentalité différente. Offrir une alternative à un circuit gangréné par les majors dont la conduite est surtout dictée par le profit, plutôt que celle d’une vision artistique.
Sonic Youth, père d’un rock se voulant farouchement indépendant dans ses idées délivre pourtant son meilleur disque en faisant des compromis. Ne parlons pas de virage commercial, même quand le groupe réussira à s’infiltrer dans les charts, il ne sera jamais véritablement apte à séduire tout le monde.
La production est sans artifice, les chants sobres et pas toujours justes... Mais qu’a donc de si impressionnant ce Daydream Nation pour être considéré comme une pierre angulaire du rock ?
Parce qu'il EST le rock and roll.
Comme pouvait l’être les Rolling Stones, Led Zeppelin ou bien Nirvana plus tard, ils sont la représentation de ce que le rock a de plus magnifique. Il y a cette énergie capable de soulever des montagnes puisque spontanée et un sens de la mélodie à toute épreuve. Car les gens de Sonic Youth sont des mélodistes sous-estimés ! Les New Yorkais ne sont pas que des expérimentateurs sonores mais aussi des songwriters ! Et c’est un détail qu’on oublie très souvent à leur sujet.
Le principal caractère de Sonic Youth et de ce disque en particulier, c’est d’allier à la fois une démarche intellectuelle voire élitiste (faire de la musique avec des dissonances) et primaire (faire une musique basée sur une énergie et des sons rugueux pour apporter du plaisir physique).
Ce double album (!) exploite à merveille l’approche de leurs débuts consistant à bâtir des paysages sonores avec des sons nouveaux et de faire une musique efficace comme la suite qui confirmera cette direction. Son ambition est pourtant casse gueule. Le format double dans le monde du rock a rarement donné des chefs d’œuvres mais beaucoup de pétards mouillés.
Mais le miracle se produit, Daydream Nation est imperfectible et varié. Que ce soit dans ses morceaux les plus longs (excédant souvent les 7 minutes) et les titres les plus ramassées dont le potentiel d’être des tubes est élevé (« Hey Joni » notamment ou bien « Eric’s Trip »), c’est comme le cochon : tout est bon. Même l’interlude « Providence » dont l’intérêt pourrait être discutable se révèle d’une beauté sans nul pareil et apporte une pause entre deux brûlots noise rock.
Ne pas connaitre ce disque est un affront mais pas parce qu’il s’agit d’une sortie historique, mais bien parce qu’il regorge d’un nombre de moments incroyables particulièrement élevé. La mélodie imparable de « Kissability », le pétage de plomb guitaristique au milieu de « Total Trash » ou encore la coda psychédélique de « The Sprawl »… Citer tous ces passages serait laborieux et les écouter sera toujours plus jouissif que de lire cette chronique déjà trop longue.
Laissez donc moi conclure au plus vite pour que vous puissiez remuer, vous aussi, au son de ce disque grandiose. Daydream Nation, le sommet dans la carrière d’un groupe immense et l’unique double album rock ne souffrant d’aucunes longueurs.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.
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le 3 sept. 2015
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