« There's a place I want to take you » chante de sa voix douce et suave Victoria Legrand sur Levitation, première chanson du 5ème album de Beach House, une première chanson comme une invitation au voyage, à sortir du monde, à léviter le temps d'une petite heure pour se blottir dans un nuage auditif fait de rêves et de souvenirs mélancoliques. Depression Cherry est une perle, un délice pop qui emporte tout loin, très loin de la terre pour se loger dans la stratosphère.
Le cycle du sommeil se compose de quatre phases : l'endormissement, le sommeil lent léger, le sommeil lent profond et le sommeil paradoxal. «Paradoxal » car l’individu présente simultanément des signes de sommeil très profond et des signes d’éveil (le visage présente des expressions, la respiration est irrégulière et l’activité cardiaque est élevée). Ces signes d’éveil sont le plus souvent la conséquence d’un phénomène nocturne mystérieux: le rêve. Parcourir la discographie de Beach House c'est se laisser guider par les flots d'une rivière céleste et onirique qui vous plongera dans un sommeil paradoxal doux et cotonneux dans lequel plus rien ne comptera autour de vous. Seulement la musique.
Victoria Legrand et Alex Scally – le couple Beach House – en sont, à l’heure actuelle, à leur sixième album. Thank Your Lucky Star est sorti le 16 octobre 2015, à peine trois mois après Depression Cherry. Pourquoi parler de celui-là plutôt que de leur dernière pépite ? Parce que leur musique ne change pas fondamentalement d’un album à l’autre. Parler de Depression Cherry c’est un peu parler de toute la discographie du duo. Mais reprocher leur immobilisme serait aussi idiot que de reprocher à Monet de n’avoir peint que des tableaux impressionnistes. Au fil de ses albums, Beach House s’est construit une capsule temporelle loin de l’agitation du monde, un refuge bien plus haut que terre. Les deux compositeurs s’affranchissent des considérations commerciales qui régissent la partie la plus importante de l’industrie musicale pour se concentrer sur leur inspiration, leur créativité. Loin de tout calcul et de la dictature du cool de la musique pop, chaque album de Beach House – et c’est particulièrement réussi pour Depression Cherry – est la recherche d’un absolu, de la beauté dans sa forme la plus pure.
Peut-être sont-ce les thèmes de l’absence, de la perte ou justement de l’écoulement du temps – véritable obsession de Beach House – qui confèrent à l’album son allure de parenthèse temporelle ? Peut-être sont-ce les percussions effacées, donnant, couplées à la voix androgyne de Victoria Legrand et aux mélodies aériennes, ce côté intimiste ? Comme dirait la chanteuse elle-même « Essayer de comprendre le cœur d’une chanson n’est pas comme regarder le mécanisme interne d’une montre, ou les articulations d’une main, c’est plus étrange que ça, et c’est ce flou qui peut la rendre plus universelle » Décortiquer l’album n’aurait en effet pas beaucoup de sens, cela reviendrait à rationnaliser quelque chose de purement sensoriel. Nous nous en voudrions de vous réveiller en plein rêve, alors gardons intact ce cocon molletonneux et profitons à l’excès de cette expérience musicale unique qu’est Depression Cherry et plus largement Beach House.