Une fine couche de poussière se soulève.
Quelques notes, un léger souffle, et c'est le Moyen Orient qui s'affiche sous nos yeux. La chaleur sèche, la poussière, les marchés, la foule. Sous un soleil qui brûle, on s'aventure dans un pays dansant, chantant, vivant au rythme d'une musique émanant d'un bout de cuivre tordu.
Depuis des siècles, telle est la vie à Beirut. On ne supporte la fureur du soleil que par la magie de quelques initiés, domptant le temps pour faire oublier l'ardeur du climat. Quand le vent se lève, que la tempête gronde, les habitants se tournent vers leurs marchands de bonheur. Des illusionnistes, oblitérant le réel par leur musique. Quelle que soit l'évolution de la ville, chaque note continue de renvoyer aux chemins de terre gorgés de soleil, aux ports enchanteurs, aux rues exiguës entourées de murs de pierre. De nos jours encore, ces enchanteurs continuent de faire revivre les heures paisibles de Beirut, Istanbul, Téhéran...
Au coeur du désert, un type s'agite sur une dune pour produire un son d'une clarté et d'une pureté inimaginables. Autour de lui flottent les images de Miles Davis, Chet Baker, Clifford Brown, Dizzy Gillespie, et toutes remuent la tête au rythme flamboyant des notes d'Ibrahim Maalouf.
Dans l'aridité ambiante, d'immenses cortèges s'agrègent autour de lui, viennent écouter le maître des lieux envelopper son public de la douceur de sa trompette, le voir réconcilier des musiques séparées depuis des siècles.
Affranchissant les frontières, éclatant les codes, Maalouf fait renaître la musique arabe dans tous les pubs de jazz du monde, convoque la sècheresse d'Istanbul de Paris à New York.
Prophète en plein désert, Maalouf fait renaître la musique dans ce qu'elle a de plus noble. Trompettiste merveilleux, musicien accompli, sa musique se fait tour à tour festive, chatoyante, touchante, émouvante. En quelques notes, le monde s'efface, et ne reste que son souffle, ses notes. L'espace s'agrandit un peu, se vide, et ne recèle plus pour un moment que l'essentiel. Pendant quelques secondes, sous son égide, le monde est un peu plus beau.
Car au fond, il s'agit bien de ça. Pendant quelques minutes, nous placer dans un univers nouveau, dans un monde où le temps s'écoule différemment, pendant un instant nous envoyer ailleurs. Quelques secondes d'émotions, disjointes du réel.
La musique, c'est l'art de décorer le temps.