DISCIPLINE : DÉDALE MUSICAL
Après avoir été quelques temps la "petite cellule mobile et intelligente" qu'il souhaitait être, officiant pour des artistes mainstream mais néanmoins aventureux tel que Bowie ou Blondie, le professeur Fripp décide de reformer un groupe pour donner corps à ses compositions. A l'orée des années 80, il recrute donc Bill Bruford, ancien KC, Tony Levin de Peter Gabriel à la basse et Adrian Belew de Zappa à la gratte. Après quelques répets, impros et concerts, Fripp doit se rendre à l'évidence, ce groupe baptisé Discipline se nomme en fait King Crimson. Bon après va t'en savoir si y a pas une pression marketing du coté de l'industrie musicale... On va pas foutre pour autant le super nom dans un carton, et on va le donner au premier album de ce nouvel escadron.
Sur cet album, premier d'une trilogie année 80, King Crimson fait encore une fois preuve de son immense talent à se renouveler complètement. Il l'avait déjà fait après le ratage de giles giles and fripp avec le grand "in the court..." puis avec le génialissime "lark's tongue...", sorti après le bof bof "Islands". Ce que l'on peut dire, c'est que si l'on s'attendait à un "Red" 2, ben raté. Exit la disto qui t'arrache le tympan, coucou les boucles rythmiques ultra complexes jouées en son clair, et ce des les premières mesures d'elephant talk . En effet l'ampli jazz chorus, connu pour un son clair fabuleux et une disto de merde, est à l'honneur dans cette époque d'un roi pourpre. Le son délaisse alors le coté torturé pour se tourner vers des boucles rythmiques rapides, chirurgicales et ô combien complexes à jouer.
Jamais une pochette d'album de King Crimson n'aura reflété aussi bien l'oeuvre qu'elle contient. Les 2 fils qui s'entrecroisent sur la pochette (oui oui il y en a 2, vous pouvez refaire le tracé avec votre petit doigt) illustrent parfaitement le travail des 2 guitaristes. Et on peut dire que le professeur, jusque là seul guitariste à bord, n'a pas embauché un gratteux manchot. Même si la plupart du temps, Fripp se taille les arpèges de la mort et Adrian les bruits bizarres, ce dernier est capable d'une maîtrise de l'instrument sidérante. Y a qu'a voir le dernier morceau. En plus de cela, le bassiste est en fait un imposteur. Il joue du chapman stick, sorte de planche à 10 cordes qui faut que tu tapes avec tes ptits doigts. Du coup tu joues de la basse ET de la guitare. Alors forcément, quand t'as 3 guitaristes en même temps bonjour le méandre musical.
Une influence majeure se ressent en filigrane sur ce disque : la musique minimaliste des sieurs Phillip Glass, Steve Reich et consort, alors en vogue à l'époque. Certains éléments de cet album sont en effet directement puisés dans ce genre, comme l'effet de phasing, que l'on retrouve sur le morceau "discipline" mais aussi dans "music for 18 musicians" de Reich. Les musiciens jouent un motif, se décalent légèrement en changeant la métrique, puis se retrouvent et ainsi de suite. Ai je besoin de dire que c'est MEGA CHAUD à refaire quand on est pas des musiciens virtuoses ? D'ailleurs ça se voit en concert, tout le monde est hyper concentré et regarde Fripp pour pas faire un pâté... A mon sens uniquement écoutable pour un musicien, ce morceau vous flanquera de sérieuses prises de têtes si vous tentez de le jouer.
En tout cas, bien que ce disque n'est rien à voir avec la choucroute de ce qu'avait fait King Crimson auparavant, on peut pas s’empêcher de se dire que ça sonne comme du King Crimson. Plusieurs éléments s'y retrouvent : les solos dissonants, les improvisations totales bizzaroïdes (thela hun gunjeet, indiscipline), le coté math rock avec des mesures en 2X + Pi/4 (discipline, elephant talk) et la sublime balade (matte kudasai).
En bref, avec un disque révolutionnaire, hautement complexe mais néanmoins fondateur (tool et j'en passe), le roi pourpre se paît le luxe de rajouter une nouvelle pierre angulaire au rock progressif. Ancré dans son époque tout en étant avant gardiste, cet disque mérite une place bien en évidence dans votre discothèque.
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