Je me souviens parfaitement d'une soirée au cinéma, il y a huit ans maintenant. Contrairement à moi, dans la salle, beaucoup ont déjà vu le film si populaire qui va être projeté. Alors que défilent sous mon regard encore innocent les premières images du long-metrage, les premières notes de Fly résonnent. Et comme un écho harmonieux, ces quelques notes contiennent aujourd'hui encore la lumière tamisée de cette salle de cinéma et son silence agité. Il y a dedans la présence, le réconfort et la chaleur de mes amis, notre jeunesse et notre humeur en cet instant.
Ce souvenir n'existe et ne vit que par ces notes et celui qui les a inventé : Ludovico Einaudi.
Einaudi est probablement l'une des figures les plus emblématiques et populaires de la musique classique contemporaine et de son courant minimaliste. Et il est dans cet art un compositeur de génie !
La musique classique a connu ses grands architectes. Je pense à Bach et à ses fugues dont les notes nous fuient tant et si bien qu'elles ne nous rendent jamais totalement compte du monument grandiose qui se dessine sous nos yeux et dont nous ne percevons, en tant que profane, que la vague mais pas moins majestueuse silhouette. Nous nous en contentons fort bien.
Einaudi, lui, veut bâtir le même monument et nous l'exposer dans les moindres détails. En cela le minimalisme est populaire. Mais l'oeuvre reste ambitieuse et rien n'est simple malgre l'apparente légèreté des si caracteristiques motifs qui se répètent.
Le minimalisme est un paradoxe qui consiste à condenser l'infiniment grand dans l'infiniment petit. À reduire une entité à sa forme la plus pure. C'est un travail de joaillerie où chaque note et chaque phrase sont comme une pierre précieuse qu'il s'agit de tailler et de disposer parfaitement. Exprimer ainsi au mieux sa sensibilite et dire tout avec rien ou si peu.
Einaudi réussit cela merveilleussement bien.
Mais dans cette entreprise où chaque choix de composition compte, comme l'alchimiste, on y laisse inévitablement une part de son âme. Son génie ne se reduit donc pas non plus qu'à son style si particulier mais réside dans ce que celui-ci peut contenir comme sentiments et comme sensations. Ce qu'expriment ses compositions, ce qui les rend si intenses et si mémorables procède d'une communion unique et puissante entre l'un et l'autre.
Dans cet album il y a la joyeuse et lancinante mélancolie qui vient par vague çà et là. On veut vivre comme les notes de Divenire, pleurer sans mal comme celles de Ritornare, s'émerveiller d'une douce nostalgie comme avec les notes de Svanire etc.
Bref, on se sent fort et durablement apaisé quand on ecoute du Einaudi !