Si ...And Then There Were Three... était un succès commercial (ce qui était à l'époque l'album le plus vendu de Genesis), on ne peut pas en dire autant sur son succès critique. Si l'album s'est si bien vendu, c'est uniquement à cause de Follow You Follow Me, premier gros tube du groupe. Parce que le reste.... euh... était peu intéressant. Genesis avait voulu garder une musicalité prog a ses morceaux, tout en les raccourcissant (la plupart tournent dans les 3-4 minutes, et la plus longue en dure 7). Tout ça n'était pas fameux : en forçant les sons progressif, Genesis s'était enfermé dans des critères dépassés et pas très mémorables. Résultat : l'album est probablement un des pires.
Il fallait donc faire évoluer la dimension musicale, et c'est ce qui se passa avec Duke ; à juste titre considéré comme la passerelle entre "le prog d'avant" et "la pop d'après" (en réalité, c'est un peu plus compliqué, et considérons Duke comme le dernier album de la longue transition effectuée depuis A Trick of the Tail, pour ne pas dire déjà entamée par The Lamb).
Si Duke a une apparence d'album prog (des suites de plusieurs morceaux), les sonorités sont déjà bien ancrées dans les années 1980, que ce soit par les boites à rythmes ou la supersynthétisation de Tony Banks, même si ce dernier prenait la tête du navire depuis belle lurette. Cependant, les origines prog sont toujours présentes, que ce soit par la transition atmosphérique qui ouvre Duchess (c'est quand même assez couillu de faire une ouverture aussi calme de 2min10), ou bien les batteries qui n'ont pas encore connu Intruder. Mais bien évidemment Duke's Travels, qui se résumerait trop rapidement par batteries + solo de synthé sur cinq bonnes minutes. On conserve aussi une trame narrative, mais je vous avoue, les histoires d'amour entre Duc et Duchess, ça me touche un peu moins, malgré de beaux moments.
Mais parlons-en plus en détails de cette Duke suite de 28min (sur les 55min de l'album), qui pour moi est clairement le joyau de l'album. Bien qu'en 6 morceaux distincts, les différents thèmes se recroisent assez souvent. Bien sûr, on a Duke's End -morceau final- qui reprend la première piste Behind the Lines ; mais aussi le chant de Guide Vocal qui revient sur Duke's Travel (et qui est pour moi le summum de l'album), le riff de Turn it on Again qui revient sur le morceau final.... Et malgré les "coupures" de la suite (car elle a été dispatché à travers l'album), une fois reconsitué, ça fonctionne à merveille ! Et les transitions fonctionnent tout aussi bien avec tout l'album !
Si je n'ai fait qu'ovationner les restes prog de l'album, il faut quand même que je parle du reste plus pop, qui constitue la 2e moitié. Et pour tout avouer, je suis clairement moins emballé. J'aime beaucoup les deux tubes Turn it on Again (qui fait partie de la suite) et Misunderstanding dans le style de Toto, qui quoique aurait été préférable avec un peu moins de ou-ou-ouuuuh toutes les 2 mesures. Ainsi que la jolie ballade Heathaze, avec toujours les jolis accords de Tony Banks. Mais le reste... disons que je n'accroche pas vraiment. Les morceaux sont sympas (Man of our Time est quand même trop lourdingue), mais je m'investis bien moins dedans et les trucs un peu trop basiques : les ballades romantiques de Phil Collins (bien que absolument pas dégueulasses), c'est clairement pas mon truc. Mais heureusement, ça n'est pas désagréable du tout, et ça passe plutôt vite. C'est surtout que le triptyque Alone Tonight/Cul-de-Sac/Please Don't Ask, un peu redondant, pour ne pas dire anecdotique à l'album, arrive si tard, comme un remplissage. En résumé, c'est une moitié d'album un peu secondaire, mais qui ne fait pas tâche à l'autre moitié.
Le pari se montre gagnant. Duke est une progression claire dans la "80ification" du groupe, et réussie. Le succès commercial est clairement au rendez-vous (album le plus vendu du groupe, mais les chiffres ne feront qu'augmenter), le succès critique n'est pas trop loin non plus. En tout cas, Duke marque pour moi la fin de la "période-Banks" (qui composait la grande majorité des morceaux depuis A Trick of the Tail, et qui essayait clairement de se démarquer) pour atteindre une "période collective", portée par le succès solo de Phil Collins, où les compositions seront plus collaboratives.