Electronic Meditation par Benoit Baylé
De rock choucroute psychédélique, il fut un temps où Tangerine Dream n’en était pas exempt. Avant de devenir l’étendard d’une musique électronique en plein essor, le trio, alors constitué de trois des esprits musicaux les plus avisés du pays allemand, se fond dans un Krautrock psychédélique hautement déstructuré, inspiré des expérimentations hallucinées du Pink Floyd de Barrett. Les premières captations de cette expérience rêveuse ramènent l’historien en octobre 1969, dans une usine berlinoise. Entouré de Klaus Schulze, grand maître de l’électronique en devenir, ainsi que de Conrad Schnitzler, futur Kluster/Cluster déjà très à l’aise au violon et au violoncelle, le jeune Edgar Froese débute son œuvre l’esprit dérangé, altéré par le psychédélisme anglais de la fin des années 60 et l’émergence d’une sorte de free-rock allemand, déjà représenté par Can (issus de Cologne) et Amon Düül II (Munich), dénommé rock choucroute par une Angleterre fort cocasse. Electronic Medidation se rattache à ce mouvement, il en est même l’un des principaux représentants avec Tago Mago et Yeti.
Froese, Schnitzler et Froese y produisent une musique étonnante, pour ne pas dire dérangeante. L’heure est à l’expérimentation acide, au délire instrumental, au travail abstrait. Gare à l’abstrait : il implique bien souvent le surfait. L’aspect mélodique des musiques d’Electronic Meditation est quasi inexistant et, plutôt que de poser le rythme, la batterie de Klaus Schulze le déstructure, détruit toute tentative de positionnement mélodique. La multi-instrumentalisation des morceaux induit, plus qu’une richesse sonore, un brouhaha malsain, une sorte bande sonore d’un enfer métallique incessant au sein duquel le salut passe par l’annihilation. Certaines textures musicales, notamment l’orgue biblico-inquiétant de Jimmy Jackson et la flûte déstructurée de Thomas Keyserling, les deux malheureux oubliés des crédits du disque, rappellent d’obscurs essais psychédéliques britanniques de la fin des années 60 en plus apocalyptique, notamment le Arzachel de Steve Hillage (1969).
Plus qu’une manifestation de rock libéré de ses contraintes structurelles, textuelles et mélodiques, cette première captation de l’œuvre de Tangerine Dream préfigure les suivantes : déjà, Froese y démontre un perfectionnisme dans la recherche et l’aboutissement des sonorités sur disque. Conventionnels, les instruments contrastent avec les nappes et textures inédites. Le talent de Froese à la guitare prend une place prépondérante, ce dès la seconde piste, « Journey Through A Burning Brain », où la six-cordes joue le rôle d’hypnotiseur aux interventions malicieuses et inquiétantes, ultra-fuzzées et complètement déstructurées, parfois même carrément abjectes. L’expérimentation atteint des sommets, mais ne dépasse pas le stade expérimental. Quelques accroches psychédéliques surnagent dans l’océan apocalyptique désaxé que représente cette méditation électronique, comme l’improvisation « Ashes To Ashes », rare témoin du savoir-faire psychédélique de la fuzz de Froese. Du reste, Electronic Meditation est à considérer au même titre que l’ « Halleluhwah » de Can : expérimental et justement déprécié. L’abstrait aura une nouvelle fois conduit au surfait, aussi imaginatifs aient-été les êtres à son origine. Schulze part pour Ash Ra Tempel, Schnitzler pour Kluster. Ils laissent Froese seul, mais ce dernier a un plan pour Tangerine Dream…