Emancipation
6.3
Emancipation

Album de Prince (1996)


  • Emancipation : "Just want the chance 2 play the part of someone truly free..."


Emancipation ne porte pas son titre par hasard. C'est en effet un album issu de la confluence de circonstances particulières dans la vie personnelle et la carrière artistique de Prince.
Depuis le premier album signé de son nom (For You, 1978), Prince est sous contrat de la Warner Bros. Artiste à succès réputé ingérable, celui-ci n'en a toujours fait qu'à sa tête. Asphyxié par cette compagnie commerciale qui cherche avant tout à vendre, Prince envisage et entame au début des années 90 un changement radical dans sa vie : en 1994 sort Come, dont la pochette en noir et blanc indique "Prince / 1958 - 1993", soit sa date de naissance suivie de sa date de... Décès. "Prince" est mort ! Vive le Prince ?


Les deux albums suivants qui sortiront avec la Warner (The Gold Experience, 1995 et le bien nommé Chaos and Disorder, 1996) portent en effet le nom O(+>... Uniquement. Ni la pochette, ni le livret n'indiquent le nom Prince. Ce dernier apparaît désormais en photo et sur scène avec un accusateur "Slave" inscrit sur la joue. Le message à la Warner est clair, et en fera grincer des dents plus d'un dans les bureaux de la firme. Seule allusion à son nom : à la fin de Endorphinmachine, deuxième morceau sur The Gold Experience, une voix féminine qui prononce à deux reprises "Prince esta muerte". Pas franchement vendeur, tant et si bien que c'est sur cette mésentente cordiale qu'est prise la décision de sortir un dernier album puis de couper les ponts.
Chaos and Disorder, ainsi "balancé" à la hâte par la Warner et contre l'avis même de celui qu'on nomme maintenant "The Artist Formerly Known As Prince" (abrégé The Artist ou tout simplement TAFKAP) - O(+> étant un symbole imprononçable -, est un album souvent considéré comme dispensable. Moins bien construit, moins maturé, celui-ci se conclue par la très courte musique Had U, sorte de confession lugubre de Prince à son public au titre explicite ("Je vous avais"). Une fois l'album sorti, pour TAFKAP et la Warner c'est terminé pour de bon, et le contrat est officiellement rompu.


Mais The Artist n'en a, bien évidemment, pas fini avec la musique. Son mariage récent avec sa danseuse Mayte Garcia, l'attente d'un enfant et le fait d'avoir "brisé ses chaînes" lui permettent de sortir enfin l'album de sa libération : Emancipation (en 1996 toujours, soit quelques mois après la mise sur le marché de Chaos and Disorder). O(+> fait enfin ce qu'il veut, EMI Music n'étant que le distributeur de l'album (NPG Records - soit O(+> lui-même - étant sa propre maison de production).


Emancipation, comme on peut s'en douter, est alors attendu comme un renouveau et un pied de nez à la Warner. À cette période, le nom "Prince", même s'il n'est plus utilisé depuis Come, est déclaré propriété de la Warner, et ne peut plus être utilisé par l'artiste - bien que ce soit son vrai prénom. Aucune importance : Prince est maintenant O(+>, avec ou sans la Warner. "This is the dawning of a new spiritual revolution..."



  • Emancipation : "Free... Don't think I ain't!"


En fait de pied de nez à la Warner, Emancipation tient davantage du bras d'honneur. Un album en 3 disques, 3 heures, 36 morceaux : une quantité de nouvelles musiques totalement impensable à l'époque "Slave" chez la Warner.


L'album est forcément empreint d'une tonalité heureuse (comme dit précédemment, il est enfin libre, il est récemment marié, amoureux, et attend un enfant de son épouse) : Jam Of The Year ouvre l'album avec une ambiance groovy de fête estivale très à propos. Peu de pistes se révèlent mélancoliques ou plus tristes sur Emancipation, Somebody's Somebody, Dreamin' About U et éventuellement la superbe ballade The Love We Make (dédiée à Jonathan Melvoin, claviériste des Smashing Pupkins, décédé d’une overdose quelques mois avant la sortie de l’album) étant plus ou moins les seules.


Emancipation n'est pas un album "compliqué" à l'écoute. Il s'apprécie facilement, et délivre de la pop d'excellente facture. Parsemé de sonorités funk et soul, il reste cependant un album très personnel, avec des paroles qui prouvent une fois encore la géniale maîtrise de O(+> pour le songwriting. Mots qui claquent, phrasés extraordinairement harmonieux (carrément jubilatoire sur certaines pistes), et des textes qui veulent vraiment dire quelque chose : c'est là tout le talent de TAFKAP qui est à l'œuvre. C'est carré, ciselé, et rien n'est laissé au hasard. Un tel niveau d'écriture peut s'apprécier sous toutes les coutures sans qu'un défaut ou que la lassitude ne pointe le bout de son nez.


L'instrumental est, encore une fois, de la plus grande qualité : O(+> y fait la plus grosse partie du travail (à nouveau, plusieurs musiques sont faites par O(+> seul, travaillant les instruments un par un), mais il laisse tout de même la part belle à quelques uns de ses musiciens fétiches : les cuivres millimétrés d'Eric Leeds, la basse sensuelle de Rhonda Smith, les chœurs par la puissante voix soul de Rosie Gaines... Avec quelques participations sur certains morceaux, et même discrètement Kate Bush (sur My Computer) !


L'album comprend quelques reprises, chose jusqu'alors assez rare pour O(+> : Betcha By Golly Wow!, La, La, La Means I Love U, et One of Us sont des versions très "princières" des morceaux originaux.


Au final, Emancipation est un album de bonne humeur, mais très varié : 3 disques remplis et bien différents les uns des autres, des rythmes qui changent à chaque morceau, et quelques petites originalités : Joint 2 Joint ("joint" pouvant se traduire entre autres par articulation), sur le disque II, qui tombe effectivement au "milieu" de l'album en termes de timing ; le sample des battements du cœur de l'enfant de O(+> à naître qui constitue le rythme sur Sex in the Summer ; la fermeture de l'album sur Emancipation qui reprend pour les dernières secondes l'ouverture de Jam of the Year en sens inverse ; les musiques annotées par O(+> dans le livret (ajoutant à l'aspect très personnel et généreux de l'ensemble), et autres "easter eggs"...


Émancipation, c'en est une, sans aucun doute. Mais en lâchant la Warner, en changeant de nom, le "Prince" aimé du public n'est-il pas allé trop loin, n'a-t-il pas lâché du monde en route ?



  • Emancipation : "U... And me"


Emancipation est un album "sans filet", où Prince s'est lancé avec talent et sincérité, mais la réception en est mitigée : durée très inconventionnelle, certaines pistes jugées anecdotiques, sonorités parfois 90's ou mièvres... L'album divise encore à ce jour. Bien que même les fans les plus radicaux s'entendent pour dire qu'Emancipation aurait fait un formidable album s'il était sorti en un seul CD d'une douzaine de pistes, il y a un fossé entre eux et les autres, aussi nombreux, qui considèrent l'album comme une excellente production dont chaque piste est nécessaire.


Je me prononce personnellement de façon très favorable à Emancipation : à mon sens, l'album est une perle qui regorge de musiques pop/funk/soul/rock/RnB formidablement conçues. Si certaines sonorités sonnent indéniablement 90's, je ne les trouve en aucun cas ringardes. L'album est parcouru de musiques puissantes (outre certaines citées précédemment, Right Back Here In My Arms, Mr. Happy, Emale, Style, Da, Da, Da et beaucoup d'autres sont des compositions pour lesquelles une paire d'artistes aurait vendu un bras pour en écrire des semblables), et même les quelques morceaux plus mièvres ne sont pas gênants (vu le contexte de Prince à l'époque, on peut le comprendre). Oui, Emancipation n'a pas l'immédiate complexité de Sign "O" The Times ou du Black Album, mais il serait ridicule de dénigrer l'album sur cette simple base. Oui, Emancipation est aussi une pop moins provocante que celle de Controversy ou Dirty Mind, mais c'est bien parce-que la pop de ces années a muté au cours du temps. Faut-il minimiser la qualité de la musique pop juste parce-qu'elle est... Pop ?


Emancipation me donne, à titre personnel, tout à fait confiance dans la pop (ou ce qu'elle devrait être) : cette musique conviviale de grande qualité, profondément sympathique, aux mélodies entraînantes et aux refrains savoureux qui restent en mémoire. D'un point de vue plus matériel, ce format sur 3 disques est extrêmement plaisant, il est très généreux et donne envie de découvrir les musiques comme si on ouvrait un coffre-fort bien rempli.


Un album rare, comme peu d'autres ont été fait. Définitivement à découvrir et à redécouvrir sans plus attendre.

Minou
9
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Créée

le 25 août 2012

Modifiée

le 25 août 2012

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Minou

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