Erpland
7.8
Erpland

Album de Ozric Tentacles (1990)

Erpland?

Un désert aride, fief de votre claustrophobe solitude. Un homme passe, puis s'arrête, sans vous regarder. Chapeau pointu, nez crochu, sinistre inconnu. Il sait. Vous n'êtes pas du paysage. Il sait. Vous commencez à l'entendre. L'anachorète sussure d'un phrasé abstrus ce que vous considérez comme une incantation. Il sait. Que sait-il? Il sait qu'à partir de cet instant, vous ne l'entendrez plus, ses sourdes proférations devenant un brumeux souvenir face à l'assourdissante explosion sonore qui éclate à vos oreilles. Le bouillonnement. Au loin, escamoté par les nombreuses dunes ensablées, vous le subodorez. Puis vous le voyez, merveilleux, prodigieux, inouï, étourdissant de beauté. Raz de marée de fraîcheur, oasis de liberté, havre aquatique, vous n'avez pas peur du tsunami. Vous l'attendez, comme le voyageur attend son embarcation navale. L'homme, en éblouissant cartahu, s'élève dans le ciel. L'eau débraillée n'est plus qu'à quelques mètres. Vous êtes bien. Vous n'avez plus à patienter. Vous y êtes.

Submergée par les douceurs humides, votre liberté, contrainte à l'apostasie, vous abandonne. Vous pouvez enfin profiter du voyage. Alors que le courant vous malmène plus à chaque seconde, vous ouvrez les yeux et les oreilles, tendez les bras et les jambes, détendu, les sens à l'affût. Autour de vous, l'irréel devient vérité : un château astrophore, des créatures aquatiques fantasmagoriques, une faune enluminée et de nombreuses autres bizarreries s'animent en parfaite harmonie. Vous y voilà. Erpland. Les tentacules d'Ozric ne veulent pas vous relâcher et vous en profitez. Dans ce tourbillon de climats, vous transpirez d'une fièvre algide et votre esprit ne sait plus rien. Saoul, il doute de tout et croit au plus fou.

Tellement de détails visuels s'offrent à vous que vous en oubliez votre audition. Puis vous prenez le temps de prendre conscience de l'eurythmie qui vous entoure. Variée et fantaisiste, elle invoque en vous quelques réminiscences ethniques, psychédéliques et progressives, agrémentées d'une pointe d'électronique. A l'instar de ce que vous voyez, ce que vous entendez est différent. Constamment régies par une basse entreprenante, les mélodies vous frappent calmement et durablement, telles d'éternelles roues aquatiles. Lorsque les marées convergent, vous vous enivrez de l'afflux homogène des mélopées pourtant si indépendantes. Peu à peu, le rêve s'estompe. Vous reprenez vos esprits, puis la vallée des mille pensées disparaît complètement. Désormais souvenir impérissable, vous n'oublierez pas le don ailé, ce précieux cadeau qui vous a été confié d'une manière dont l'intensité n'a d'égal que la fugacité.
BenoitBayl
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le 5 déc. 2013

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