Carla Bley n'est plus. La compositrice et musicienne née en 1936 s'est éteinte à l'âge de 87 ans des suites d'une tumeur au cerveau. Je la découvre malheureusement à cette occasion. Pourtant, en lisant l'article du Monde faisant sa nécrologie (et son eulogie), je m'aperçois qu'elle n'était jamais bien loin. Dans l'ombre des grands. Une grande parmi les grands, mais discrète, dont le nom ne parvenait qu'à ceux qui savaient chercher, ou qui poussaient plus loin que moi leurs recherches et leurs découvertes. Peut-être son nom me serait-il parvenu si elle avait été un homme ? Homme comme ceux qui l'ont croisée, ou pour qui elle a composé, écrit, joué, produit ?


Une partie de ce beau monde se retrouve en 1971 sur cette composition phare de Bley, avec un livret de Paul Haines. Un opéra rock-jazz psychédélique, une "chronotransduction" comme ce fut présenté à l'époque, d'une durée de plus d'une heure et quarante minutes - encore plus long en CD, puisque la dernière piste d'une durée normale de 9 minutes s'y retrouve étirée au-delà des 27 minutes (sur le triple vinyle original, il y avait une "locked groove" et la musique ne se terminait jamais si vous ne releviez pas le diamant).


Alors en quoi consiste cet Escalator over the hill ? Un joyeux fourre-tout difficilement descriptible après une seule écoute (au moment où j'écris ces lignes, je suis en train d'écouter l'hypnotique locked groove du dernier morceau). Qui brasse effectivement un jazz tendance free / électrique / psychédélique : on croise Don Cherry sur un morceau, John McLaughlin sur un autre; qui brasse aussi de l'opéra-rock plus typique de ce début des années 1970 (les Who, la comédie musicale Hair), ambiance hippie en plein bad trip (le stupéfiant "This is here") ou morceaux chantés plus traditionnels, avec une toute jeune Linda Ronstadt encore loin de ses énormes tubes de soft rock / country pop. On y entend aussi des voix complètement fêlées, agonisantes (et même une enfant !), comme si d'un seul coup le disque avait viré freak folk, free rock ou krautrock - j'ai beaucoup pensé aux premiers Amon Düül II à l'écoute de cette oeuvre, à certains Jefferson Airplane ou aux Pink Floyd période Ummagumma. Il me faudra sans doute y revenir, c'était éprouvant mais stimulant, beau et tourmenté à la fois. Ce qui risque de freiner chez nombre de ceux qui s'y aventureront, outre la durée, ce sont sans doute les incartades plus opératiques en droite lignée d'un Kurt Weill et de la musique de la république de Weimar. A la même époque, on trouvera des traces de son influence chez un Lou Reed ou un Bowie, mais ce n'est pas forcément le plus digeste sur cet album impressionnant.


Bref, une bien belle découverte, un disque-somme pourtant composé à 35 ans, une montagne musicale pour mélomanes aguerris, une belle expérience un peu folle et rarement retentée par la suite, mais surtout un disque avec un line-up inouï si vous êtes amateurs de jazz.

Krokodebil
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le 18 oct. 2023

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