En 1971... Personne ou presque n'avait encore entendu parler de David Bowie, et le rock "décadent" n'était encore qu'une vague cauchemar surréaliste. Les seventies venaient juste de débuter et il semblait que le Rock anglais, après les explosions successives du British Blues et du psychédélisme, ronronnait désormais un peu dans la copie des standards US. Les Stones triomphaient seuls en haut des affiches, les Beatles étaient séparés et le Led Zep prenait un envol qui promettait d'être monstrueux. Les (Small) Faces de Rod Stewart et Ron Wood étaient en train de passer à côté du succès, et Rod avait déjà compris que son principal atout, sa voix cassée - comme pleine de graviers - allait être son principal atout s'il voulait percer. Il enregistrait donc des albums solos principalement basés sur des reprises de qualité qui lui permettaient d'impressionner le chaland grâce à son timbre pour le moins singulier. En 1971, à la surprise de presque tout le monde, Rod Stewart livrait "Every Picture Tells a Story", un album parfait qui figurerait encore plus de 40 ans plus tard très haut dans la liste des meilleurs albums de l'histoire du Rock. Un mélange absurdement réussi de soul, de country, de rock'n'roll et de... folk celtique, interprété par des musiciens d'exception qui, tout en donnant l'impression d'une rencontre fortuite entre potes autour d'une (non, de plusieurs) Guiness, transforment chaque chanson en une fête des sens, sans jamais en faire trop. Et surtout un festival vocal qui laisse encore l'auditeur d'abord ébahi, puis rapidement conquis par ce déluge de sensations et de sentiments. Ici, l'excellence paraît facile, chaque musicien, chaque choriste y allant de sa petite démonstration sans que ça vire pour autant à l'exhibition gratuite (il est d'ailleurs passionnant de voir combien la guitare de Ronnie Wood fait des merveilles, alors qu'il est si peu intéressant au sein des Stones !). Chaque chanson de ce patchwork pour fêtards paraît meilleure, plus pertinente encore que la précédente, mais c'est le grand huit des émotions qui nous enivre vraiment. Ici, Rod Stewart est GRAND (écoutez le très court "Amazing Grace" pour toucher du doigt ce qu'est "avoir de la soul"...), et on lui pardonnera donc les décennies de bêtises disco qui suivront : l'honneur est sauf, pour toujours. [Critique écrite en 2015]