Entre "Everybody Knows This Is Nowhere" et moi, c'est paradoxal. Ce qui n'est pas plus mal non plus, d'ailleurs. J'ai découvert ce deuxième album "solo" (la bonne blague...) de Neil Young, accompagné pour la première fois par Crazy Horse, ex-Rockets dont il avait sans vergogne confisqué la carrière naissante, en même temps que "Neil Young" et "After the Goldrush", dans l'immédiate foulée du choc qu'avait été "Harvest"... soit sans doute beaucoup trop de musique extraordinaire à avaler d'un seul coup (... surtout que, imaginez un peu l'époque où nous vivions, nous nous tapions mon cousin et moi en parallèle la découverte rétrospective des 3 premiers Bowie après l'autre choc de "Ziggy Stardust", et l'exploration de la discographie de Lou Reed et du Velvet Underground). Eh oui, c'était comme ça, notre vie en 1972, et c'est assez dur d'imaginer telle abondance, vue d'aujourd'hui. Bref, malgré les écoutes plus que répétées, malgré l'électrocution immédiate qu'avait été la découverte des deux chansons-monstres de cet album, "Down By The River" et surtout "Cowgirl In The Sand", j'avais au fil des années rangé cet album dans la catégorie des "bons albums" de Neil Young, juste un cran en dessous des "chefs d'oeuvre". Et son souvenir avait été peu à peu recouvert par la furie électrique des années 90, qui vit le Loner pousser encore plus loin son amour du bruit électrique.

Tout ça pour dire que réécouter "Everybody Knows This Is Nowhere" en 2020, après plus de trente (quarante ?) ans à le laisser dormir sur les étagères - même s'il m'a suivi toute ma vie au cours de mes nombreux déménagements autour du monde - s'est avéré un autre choc mémorable. Peut-être plus grand qu'en 1972, si je suis honnête avec moi-même.

Parce que l'alchimie entre les guitares de Young et Danny Whitten (qui décédera malheureusement trop tôt) est incomparable, et ne sera jamais égalée ensuite par Frank Sampedro ni par Nils Lofgren. Parce que le son de l'album, beaucoup plus léger et élégant que dans mes souvenirs (oserais-je parler de "ligne claire" ? J'ose !) est magnifique. Parce que la manière dont Neil joue ses fameux interminables solos de guitare dégage une émotion d'une simplicité et d'une évidence rares. Parce que les voix sont constamment bouleversantes, dépassant sans problème les limites d'une technique qui n'est pas la préoccupation de Neil, ni de David Briggs à la production. Parce que les chansons sont (presque) toutes excellentes : le futur "crowd pleaser" ultime que deviendra sur scène "Cinnamon Girl" avec son gros riff et le solo parfait de Neil ; les deux ballades country de circonstance, mais sans pedal steel guitar pour fâcher ceux qui ont du mal avec, "Everybody Knows..." et "The Losing End" ; "Round and Round" avec sa mélodie impeccable qui rappelle l'inspiration pop du premier album solo, sans les problèmes de production infecte ; et surtout le sommet émotionnel que constitue "Running Dry", dans un genre musical très sombre assez rare chez Neil, magnifié par un violon saisissant.

Bref, au lieu de simplement considérer l'importance historique de cet album, le premier d'une collaboration entre Neil Young et le Crazy Horse qui dure encore et atteindra les sommets à plusieurs reprises durant le demi-siècle qui suivra, je me dis maintenant que c'est aussi un foutu chef d'œuvre. Qui me parle peut-être plus encore à 60 ans passés qu'à 15 ans.

[Critique écrite en 2020]

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le 25 févr. 2023

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Eric BBYoda

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