Et vlan ! Fini les petites chansonnettes, les maladresses blues-rock-garage des anciens albums. The Kinks est un groupe accompli, Ray a atteint un niveau de songwriting qui n'a rien à envier au duo Lennon/McCartney, et il a plus d'ambition qu'il n'a jamais eu. Il voyait déjà un grand album-concept à la pochette noire, une satire sociale couplé à une introspection personnelle soutenu et lié par une volée d'effets sonores. Mais la maison de disque a dit non, donc c'est non. Eh oui, regardez, il y a deux mois les Beatles ont sorti Revolver, avec une pochette bien psyché, alors tout le monde doit faire de même, pas de pochette noire. Et quoi ? Effets sonores ? Mais on doit vendre ! Vous vous prenez pour John Lennon, c'est ça ? Allez, on vire tout ça !...
Donc finalement, nous obtenons ceci. Mais c'est déjà ça. Moins d'effets, une pochette plus "ohlala plein de zouli papillons partout qui sortent d'un môsieur lobotomisé", mais toujours de la satire sociale ("Sunny Afternoon") et de l'introspection ("Rosie Won't You Please Come Home"), et le tout formant la première perle du groupe. Dès le début le ton est donné, avec le supra-entrainant "Party Line", après l'introduction par la sonnerie de téléphone et le 'Hello, who's that speaking, please ?". Et on enchaine directement avec un des plus beau titre du groupe, "Rosie Won't You Please Come Home"... En fait, toute la première face de l'album est juste à tomber par terre, avec une attention particulière pour "Rainy Day In June" chanson très noire et très souvent oubliée, mais qui semble on ne peut mieux décrire l'état assez dépressif de Ray Davie à cet époque. Une sorte de pied de nez au son habituel assez enjoué des Kinks que je conseille fortement.
Maintenant, je dois avouer que la seconde face a toujours eu plus de mal à m'impressionner, si on excepte bien sûr le magique "Sunny Afternoon", que tout le monde ici doit connaitre par coeur. (et si ce n'est pas le cas, allez l'écouter !). Mais pour ce qui est de "Holiday in Waikiki", "Most Exclusive Residence For Sale", et "You're Looking Fine" (qui est pour le dernier une petite résurgence des influences blues du groupe), même si j'ai conscience qu'il y a une certaine amélioration par rapport aux albums précédents, rien qu'au niveau du style, elles restent plutôt faibles. "Fancy" elle aussi, est relativement faible, mais a son atmosphère exotique et intrigante pour elle... Et n'est pas assez longue pour que ça en devienne barbant (contrairement à "Within You Without You" sur Sgt Pepper's par exemple) ! "Little Miss Queen Of Darkness" est sympathique, pas à faire sauter au plafond, mais est vraiment sympathique.
Mais je maintiens que l'album est une petite perle. Modérément il est vrai, car les Kinks feront encore et encore mieux plus tard, mais une petite perle tout de même. Et comme à l'habitude, il ne faut vraiment pas négliger les morceaux bonus, vu qu'on louperait un trio fantastique : "Dead End Street", "I'm Not Like Everybody Else" et "Mr Pleasant". POURQUOI ils n'ont même pas pensé à mettre ça dans l'album ? Bourrées d'énergie, mélodies irrésistibles et plus incisives aux niveau des paroles que n'importe quoi. "I'm Not Like Everybody Else" étant à mon goût particulièrement intelligente au niveau de son thème, vu qu'elle peut aussi bien s'interpréter comme un hymne incitant à se démarquer de la foule ou comme au fait qu'on veuille tous se démarquer de la foule, comme tous les autres, sans pouvoir donc y parvenir... Après tout, c'est cette ironie qui sera l'argument principal d'Arthur. Mais ce sera quelques années plus tard...